BIBLIOGRAPHIE  
   


1955 - Le peintre  (Jean Chabanon)
    "... Campagnola (Galerie Bruno Bassano) Ce peintre construit ses tableaux avec une rigueur peu commune dans un matériau qui n'est que de lui. Dessinateur remarquable, il précise les formes, sans laisser au hasard la moindre part. Il contrôle l'éclat de la couleur avec une rare autorité. Il s'interdit toute amabilité, toute complaisance. Ses oeuvres, d'une grande sobriété, ont cependant un haut pouvoir. Leur "présence" est grande et l'esprit qui les anime n'est pas brimé par quelques directives étrangères à sa nature. ..."
1955 - France Soir  (Jean Paul Crespelle)
    "... Le peintre Campagnola est la dernière découverte de ce petit homme, actif et passionné, qu'est Bruno Bassano. Celui-ci, à force d'enthousiasme, est parvenu à le persuader de faire une grande exposition de son oeuvre dans sa galerie. On réalisera la puissance de persuasion de Bassano, en considérant que Campagnola qui peint depuis 24 ans(*), n'avait jamais voulu exposer jusqu'ici. Sagement, afin de pouvoir se consacrer librement à la peinture, à "sa" peinture, Campagnola travaille dans la publicité pour gagner sa vie. C'est cette indépendance souveraine qui se dégage de sa peinture. On sent à travers ses portraits, ses paysages, ses natures mortes, que Campagnola n'est à la poursuite que d'un seul but : s'exprimer parfaitement. Les amateurs découvriront avec surprise ce peintre secret, qui a sû créer son style, trouver son dessin, sa couleur. Campagnola est un dessinateur aigu, qui cherche l'expression dans un trait dépouillé et précis. Mais il échappe à la sècheresse d'un Bernard Buffet par ses dons de coloriste. Sa palette est généralement sombre, traversée de lueurs ou d'éclairs colorés, semblables à des émaux. On remarquera particulièrement sa grande "Maternité", son "Pêcheur" et ses magnifiques paysages de forêts et d'eau.

(*) Campagnola peignait depuis l'enfance, mais n'y consacrait véritablement son temps libre que depuis les premières années 50, tout en assumant son travail de dessinateur-graveur en héliophore. Suzanne Bret. ..."
1955 - Arts  (Source Inconnue)
    "... Le peintre Campagnola n'a pas la vie traditionnelle de beaucoup d'artistes qui, comme d'ailleurs il faut les en louer, sont économes des gestes qui ne visent pas à l'édification de l'oeuvre. Campagnola s'occupe de publicité. Pour gagner son atelier, place du Hâvre, on traverse une grande salle un peu sombre, où sont installées des boites vernies qui ressemblent à des appareils de télévision inachevés. Des lampes s'allument et tournent à l'intérieur, et toutes sortes de figures s'animent. Campagnola fait fonctionner ces curieuses lanternes magiques en vous regardant d'un air espiègle. La pièce où il exerce son artisanat, c'est l'antichambre de l'indépendance. Car en entrant dans l'atelier, on comprend aussitôt que cet homme a voué sa vraie vie à l'art. Une grande sculpture de bois, d'une belle facture, irradie une lumière qui lui appartient. C'est une oeuvre ancienne, Campagnola n'avait guère plus de vingt-cinq ans lorsqu'il l'exécuta, on s'étonne de l'apprendre et maintenant il veut y voir seulement un témoignage d'une recherche, et non d'un aboutissement. On sait qu'il pratiqua longtemps la sculpture, depuis le moment où, après avoir étudié à l'école des Beaux-arts de Rome, il pût poursuivre ses travaux grâce à un prix qui lui fût attribué. Et les oeuvres de cette longue période manifestent une maturité déjà très tôt obtenue.

Mais Campagnola se mit à peindre, pour obéir à une nécessité intérieure authentique. Et s'il quitta un domaine où il dominait parfaitement le moyen d'expression, ce fût sans doute pour lutter contre ce qui lui était devenu familier. Il y a une rupture profonde entre son oeuvre de sculpteur et les tableaux austères que j'ai vus dans son atelier. Ceux qui jugent le caractère d'un homme suivant son apparence,s'étonneraient peut-être que ce personnage souriant et narquois, agile et vif, puisse être l'auteur de ces compositions sévères, où une certaine froideur transparaît, et donne une fugitive impression d'abstraction. Elle vient, il me semble, de ce que parfois encore, Campagnola se livre tout entier à la recherche pure; on sent qu'il veut de nouveau maîtriser pleinement les moyens. Dans d'autres tableaux, on le sent qui lutte avec ardeur et vivacité, non pas contre l'objet et la matière, mais contre lui-mème. C'est le propre de tout véritable artiste de le faire, et les dernières oeuvres de Campagnola permettent de supposer que chez lui, la victoire pourrait bien être proche. Je m'imagine, que quand il est devant sa toile, c'est au-dedans de lui-même qu'il voit les objets et les êtres. Et pour celà sans doute, ses tableaux vivent, ils produisent leur propre clarté, qui n'est plus la représentation du jeu de la lumière du monde sur les choses; cette clarté, c'est celle de l'Esprit, et la vraie lumière de la peinture. On a dit que la combinaison de la lumière et de l'obscure était la couleur. La couleur de Campagnola est comme l'émanation de ces deux éléments pour lui primordiaux, elle naît d'une fusion à laquelle il nous fait assister.

Dans ses oeuvres récentes, il y a un accord profond entre la couleur et la composition que souligne un dessin apparent, habile et sobre à la fois. Tout celà fait supposer que Campagnola sera l'un de ceux qui sauront rassembler les tendances divisées de la peinture d'aujourd'hui, et la raméneront sur un nouveau chemin de classicisme parce qu'ils auront profondément compris ce qu'elle est. Bruno Bassano exposera prochainement quelques oeuvres de Campagnola dans sa galerie de la rue Grégoire-de-Tours. Il avait déjà eu le mérite de faire au mois de Mars, la première exposition de ce remarquable artiste, qui jusqu'à présent se cachait, et qu'il a révélé au public. ..."
1958 - Campagnola   (Jean Chabanon)
    "... Le critique devant sa page plus vide que le désert hésite.

Présenter un artiste n'est pas facile entreprise. Le critique ne peut rien ajouter à la grandeur d'un univers nouveau surgi de l'esprit, sa plume s'autorise seulement à fixer le cheminement du peintre et retracer humblement les actes de l'homme qui semble ici agir comme le sculpteur dégage du marbre le corps d'une oeuvre. Campagnola, né en Suisse en 1911, ne séjourne pas longtemps en territoire helvétique, ses parents rejoignent l'Italie et précisément leur sol d'origine, Possagno, petite cité de la Vénétie, rendue célèbre par le sculpteur Antonio Canova, qui mourut en 1822 à Venise après avoir acquis une notoriété considérable. Cette auréole glorieuse pour un enfant du pays garde tout son prestige et Campagnola admirait à travers la légende, sa force et sa grandeur. Avide de connaissance, il parcourt, tout jeune encore, cette Vénétie pour connaître les lieux où Giorgione, Titien, Véronèse, tous ces maîtres, ces magiciens de la couleur ont vu le jour et laissé des oeuvres immortelles.

Campagnola évolue dans ce climat créé par la présence de tant d'artistes dont les témoignages visuels l'entourent. N'avait-il pas eu dans ses ancêtres sculpteurs, des peintres qui avaient connu une juste renommée? Campagnola, sa vocation suscitée par une adresse naturelle et une compréhension du domaine de l'Art, le plus merveilleux avec celui de l'Amour, quémandait à la tuilerie voisine la glaise nécessaire à ses premiers exercices. Il trouvait refuge et solitude dans un grenier où il passait des heures à dessiner. La figure humaine le fascinait et déjà il pensait : "Qui sait construire une figure saura bâtir n'importe quoi." Ses jouets étaient toutes ces choses qui lui permettaient de manifester sa passion. Ce n'était pas un enfant paisible et déjà en lui tout devait éclater avec force.

Puis ce fût le départ pour Besançon où ses parents pour des raisons de travail, avaient dû émigrer et l'inscription à l'Ecole des Beaux-Arts qu'il fréquenta pendant un an.

Mais bientôt, il éprouvait le besoin de partir, de vivre dans ces lieux qui permettent de vous épanouir. Paris l'attendait. Mais un Paris inaccessible encore, les moyens pécuniaires des parents étant menus et Rome, la ville des villes pour un artiste, le fascinait. Campagnola gagne, dans le sens le plus complet du mot, la capitale italienne; il y séjourne cinq ans, grâce à une bourse; étudie l'art, les oeuvres bâties par les plus grands génies, s'acharne à la besogne, est sollicité par toutes les richesses, ces legs immortels de l'esprit. La vivacité de son esprit le porte à admirer l'Art ancien comme le nouveau. Les études et les fréquentations enrichissent son savoir et la beauté l'attire sous des aspects les plus divers. Il acquiert les connaissances indispensables pour s'exprimer librement, pour agir totalement. La liberté ne souffre aucun manquement, ainsi dans tous les domaines. La possession de tous ses moyens est donnée par le travail patient. La tâche la plus périlleuse qui nous est impartie, dès notre naissance, faire de nous un homme, est cependant plus accessible que celle qui échoit à nos semblables -si dissemblables à nous- dont la tâche est d'accomplir un artiste. Il faut alors se penser comme un tout, vaincre ses propres défaillances, lutter avec (et contre parfois) ce monde secret qui nous habite. Il faut, à travers soi, se chercher, se modeler, se trouver, s'accomplir.

D'abord sculpteur (un sculpteur épris de l'humain, alliant la force d'un corps à sa gracilité, le traduisant par des volumes amples, essentiels, tendrement modulés par des masses denses et que la lumière caresse comme amoureusement), Campagnola abandonne le jeu charnel, direct, du statuaire pour celui différent du peintre, mais ne quitte point l'amour du beau matériau.

Il acquiert par la brosse et le couteau une pâte d'un aspect minéral. Il développe le plan de ses dissertations peintes sur une surface ayant la beauté des pierres sombres, il construit d'abord le champ de ses investigations réalistes et poétiques. Une toile, préparée, travaillée par lui, fait oublier le support du lin. Elle semble issue de quelque carrière, de quelque paroi de ces grottes qui firent la gloire des premiers êtres inspirés. Ses rugosités l'apparentent aux roches polies par le temps, et les motifs qui l'engagent vers l'humain paraissent surgir de sa propre teneur. Chez Campagnola l'oeuvre n'est pas peinte uniquement par en-dessus. Elle vient du matériau. Elle trouve son visage en dégageant les couches successives de cette matière pierreuse qui est une des caractéristique de l'art qui nous préoccupe dans ce texte. La couleur n'est plus une chose attachée à une chose. Elle fait corps même de l'oeuvre. C'est tout le contraire de ces peintures qui ne sont que fardées, où le ton n'est qu'un revêtement. En accusant certain relief de son matériau (ils ne coïncident pas avec la forme), Campagnola donne une vie à la surface, elle devient non plus un plan mais un volume d'une rare intensité. Pensée du spécialiste, aussi pensée de la main, la technique des premiers gestes de notre auteur rejoint celle du sculpteur, mais la carrière dont sont extraits les blocs bruts ne doivent rien au travail de la nature, uniquement à celui de l'homme, ici plus artisan qu'artiste en ses ouvrages d'approche. L'artisanat entre dans une grande part dans l'oeuvre. Il en fournit les bases essentielles. Ce n'est point restrictif que de l'affirmer. Un artisan qui ne serait vraiment qu'artisan vaudrait mieux que l'artiste ignare. Le métier entre en ligne de compte dans l'élaboration d'un tableau et Campagnola le sait bien. Le talent doit être soutenu, porté par les connaissances. Sans cela aucune obéissance aux règles éternelles. Le langage n'affirme rien s'il n'est correct.

Les naïfs de l'art, on les admet seulement en peinture, font la preuve évidente que les valeurs sont faussées en notre domaine peint. Musiciens, architectes, danseurs naïfs ne s'imaginent guère. La possession d'un métier ne bride en rien l'inspiration. Au contraire, elle en exalte les manifestations, et cet instinct que nous portons tous en nous -animaux pensants que nous sommes- créateurs nés du plus petit au plus grand. C'est la recherche du beau qui nous anime et plus particulièrement le peintre qui a pour mission de mettre à jour des beautés nouvelles, nées de la joie ou de la tristesse, du bonheur ou du malheur, d'un émerveillement devant un des spectacles de la nature ou d'une illumination de l'esprit. Mais cette recherche, ce désir de saisir la beauté ne trouve sa conclusion, son accomplissement que dans le beau, non dans le décoratif. C'est l'écueil de bien des auteurs actuels. Campagnola a saisi tout cela. Il s'est donné la peine d'écarter le voile, de pénétrer, d'interroger les oeuvres des gloires anciennes. Il est dans le secret des images puissantes. Il rejette l'aimable, le plaisant, mais il n'est pas hostile. Il interroge, mais se pense lui-même. Son chant est le sien. La contemplation de la nature, géographique ou humaine, le laisse lucide. Rien n'est poétique, mais tout peut l'être si l'on se hausse au-dessus du constat. Ses dons il ne les livre pas au délire, ni au plaisir. Rien d'exacerbé, ni de frivole en lui.

Portraitiste, Campagnola l'est-il? Non au sens restreint du mot. Ses figures ne sont point des effigies de personnes déterminées. Il va plus loin que le particulier. Ce ne sont guère les images d'une dame nommée, d'un adolescent isolé, d'un groupe d'adolescent. Ses figures sont des portraits de caractère, elles présentent et représentent les divers moments d'un même type humain. Personnages acourrus d'ailleurs, ses femmes et ses enfants sont nés sous le même signe. Etres fictifs, créatures de l'imagination, ils s'imposent à nous par la vérité de leur structure physique et morale. Ils ne bougent pas. Campagnola "hait le mouvement qui déplace les lignes." Ils nous regardent et gardent la pose, mais leurs gestes ne restent pas en suspens. Ce sont des êtres conscients, graves et rêveurs. Ils ne sont pas harcelés par l'humanité qui les environne. Impassibles, leur majestueuse immobilité atteint à la grandeur, la grandeur de ceux qui vivent solitairement, seuls avec eux-mêmes.

Le visage humain orné de son regard est ce qui nous émeut le plus. Mort, l'homme nous envisage encore, il meurt totalement lorsqu'on lui clôt les yeux, geste rituel qui l'efface du monde des vivants. Cependant Campagnola ne trace pas un regard, il ne le dessine pas, tel le sculpteur qui l'évoque par l'ombre des paupières. Le regard ne peut se traduire par le jeu d'un couple de rétines sensibles à la lumière. Sa complexion est secrète. La pupille, la cornée ne sont rien dans l'affaire. C'est ici le poids (on dit le poids d'un regard) qui compte, non sa couleur, non sa forme. Sensibles, nous le sommes tous mais chacun à notre manière, les êtres de Campagnola ne sont point des jouisseurs. Ils n'accaparent nullement le monde, mais ils prennent possession d'un domaine né avec eux. Vigilants ils observent, réprouvent, mais ne se révoltent pas. Ils prennent intérêt à tout, parce qu'ils ne sont attachés à rien. Leurs richesses intérieures sont leur unique fortune.

Les êtres de Campagnola sont seuls. Nous ne pouvons leur porter secours, seulement leur donner notre affection. Graves, ils sont traduits dans un langage grave. Aucune fioriture dans le tracé qui les précise charnellement, aucun sourire dans la forme et la couleur; cependant rien de morbide par le fait que l'auteur est sain. Si notre auteur, lorsqu'il inscrit un paysage, choisit un caractère bien déterminé de la nature, du moins il n'enferme point cette nature dans un système. Certes, on n'imagine pas Campagnola fixant le sourire d'un printemps sur de jeunes blés, sur des promesses de fruits. Il n'est aucunement attiré par la fragilité des choses et des états passagers. Le permanent, c'est dans la conclusion des trois premières saisons, l'hiver, qu'il le trouve. La nature, comme les êtres, s'achemine vers la mort, et c'est la grandeur de son visage que l'auteur recherche, non sa tristesse.

La gamme des natures mortes appartient au domaine du familier. Elles coïncident exactement avec l'univers de l'auteur d'où tout apparat est banni. Elles sont, elles aussi, des portraits de caractère, non le prétexte unique (comme chez beaucoup de peintres) à des jeux de formes, à des confrontations de valeurs tactiles et colorées. Le futile est chassé, et l'inutile, et l'ornement. Chez Campagnola, "les oeuvres de la vie silencieuse" -on nomme ainsi les peintures où ni la nature ni l'homme ne sont représentés- accordent à l'humain le premier rôle. Elles traduisent, par des moyens plastiques extrêmement sobres, le cours d'une vie. La demeure les entoure, telle la cellule d'un solitaire. La lumière est rare comme un don dispensé à petite dose. La fenêtre n'est ouverte ni sur la lumière, ni sur le plaisir. Nous sommes dans un monde où l'espoir est latent mais empreint de gravité. L'homme ne démissionne pas, ne renie rien, mais il est isolé, et le secours ne lui vient que de lui. Sa gloire est faite des jours vécus laborieusement, en dehors des bruits de la ville. Sa plus grande conquête réside en sa pureté.

1958 - Le peintre   (Jean Chabanon)
    "... Campagnola (Galerie Madsen) Belle exposition qui dénote - par certaines oeuvres récentes - une recherche dans l'expression moins rigoureuse de la forme. Du moins apparemment, Campagnola restant foncièrement un sévère bâtisseur. Son matériau, parfois plus ample, garde sa richesse et bénéficie d'autre part d'un apport coloristique plus nettement défini (dans les bleus et les rouges). Humaniste, Campagnola l'est aussi bien dans ses paysages, ses natures mortes, que dans ses visages. Il est peintre parmi les meilleurs. ..."
1958 - Journal de l'Amateur d'Art  (Imbourg)
    "... Né en Suisse en 1911, Campagnola est d'origine Italienne. C'est sans doute la raison de ses études aux Beaux-arts de Rome, études qu'il pût pousser grâce à une bourse, jusqu'au professorat. Mais avant de se consacrer à la peinture, il n'est pas inutile de savoir que Campagnola fut d'abord un sculpteur et nous verrons plus loin quel rôle ces premiers contacts avec la plastique jouèrent dans la conception de son oeuvre peinte. Cependant, il faut avant tout souligner l'indépendance et la volonté de conserver une entière liberté qui a toujours été sa caractéristique puisqu'en effet après sa venue à Paris, où il ressent immédiatement ce que l'atmosphère particulière du milieu artistique peut lui apporter, il accepta pendant longtemps l'obligation du second métier plutôt que de se plier à de trop grandes servitudes. Il exposait en groupe pourtant régulièrement et participait à la Biennale de Venise.

C'est donc un artiste ayant mûri soigneusement une technique personnelle que la Galerie Madsen présentera bientôt. Cette rare personnalité nous semble être le caractère marquant de l'art de Campagnola. C'est en ce sens que l'on peut dire de lui qu'il se range parmi les expressionnistes, s'il faut entendre par là le travail du peintre qui transmet aux autres sa conception de la vie. Le terme est d'ailleurs beaucoup trop vague puisqu'il est certain que Campagnola peint avant tout pour lui-même. Le sculpteur que nous disions qu'il fût, a donc marqué son talent de créateur. Dans une première période c'est dans une matière prodigieusement solide, très proche justement de celle qu'il emploie actuellement, qu'il transposait sur la toile en "passages" subtils, les plans légèrement cubés du modelage du sculpteur. La subtilité de sensations plastiques colorées de cette époque provoque une impression de sombre et large force et d'une belle densité de masse. La recherche de la masse est restée permanente chez lui.

Lorsqu'ensuite (et ses oeuvres qu'il expose cette année en font foi) il cherche plus d'irisation dans les teintes, il trouve encore son expression par le relief de la matière qui galbe ses vases et modèle si tactilement la chair de ses portraits. En effet on ne peut dire qu'il y a chez Campagnola un coloriste éclatant. L'éclat est donné en suggérant les couleurs qui se fondent dans des demi-teintes verdâtres, beiges, ocres ou grises, reflets d'une lumière poétiquement mouillée. Son tempérament de peintre amoureux des effets de matière s'impose souvent dans ses paysages sombres, à l'horizon surélevé, au ciel gris dont le premier plan est souvent uniforme. La matière largement dominée, étalée, nous rend sensible la présence de la vie. Elle fait l'unité et la fermeté de l'art de Campagnola. Le mouvement lui-même à l'air de naître de l'épaisseur lisse, intermédiaire entre la lave, le marbre ou la pierre veinée des teintes que le temps a adouci. Le geste d'une jeune fille tenant quelques chardons transcrit l'idéal de l'artiste qui désire que l'esprit se détende de la force ramassée dans la matière de la chair, du dedans de la masse. Sa conception méditative des êtres, sa philosophie en un mot, part des sens et s'élabore dans le limon. D'où ce sentiment de permanence qu'apportent ses oeuvres. (Exposition Galerie Madsen) ..."
1962 - Campagnola, Galerie Madsen  (Raymond Charmet)
    "... Campagnola, peintre de la dignité humaine

La dignité humaine est une des rares revendications des Sociétés contemporaines. Mais les artistes contemporains la bafouent le plus souvent, tant dans leurs thèmes affreux que par leur technique volontairement scandaleuse. II y a là, un surprenant décalage. Voici enfin un peintre, qui a pris conscience de cette exigence si profonde qu'il n'hésite pas à en faire la raison majeure de son art; un peintre sérieux, au beau sens de ce mot : Enrico Campagnola. Né en Suisse en 1911, de parents d'origine Vénitienne, il a partagé sa carrière entre l'Italie, ce pays qui a toujours eu le culte de la beauté, et la France, où il s'est installé définitivement en I928. L'art des deux nations s'intègre parfaitement dans son œuvre. A Rome, où il travaillait huit heures par jour, il a appris les secrets du grand métier. Pendant neuf ans il a étudié le modèle nu. Les purs paysages de la Vénétie, où il a passé sa jeunesse, ne cessent de le hanter. De la tradition Française, il a assimilé la belle matière nacrée, fruitée, la clarté réfléchie de la composition, la finesse de retenue des couleurs, des lumières, en un mot : la peinture authentique. Son apport personnel est la vision de ce qu'il y a de solide, de permanent, de noble dans la nature, et particulièrement dans la figure fragile et éphémère de l'être humain. Ayant pratiqué la sculpture, il sait donner à ses calmes évocations de jeunes femmes un relief plastique très pur.

Les accents de réalisme populaire qui l'attiraient naguère, font place de plus en plus, chez lui, à une sévère dignité, où s'allient la pureté des lignes florentines à la forte simplicité du style français. Les visages aux yeux noirs et méditatifs, les membres sculptés, les mains merveilleusement subtiles, composent le poème indéfiniment renouvelé du corps humain, éternellement jeune. Autour de ces figures, le décor de la vie, les murs, les meubles, les objets, les fenêtres frissonnantes de lumière, apportent la présence du monde, à la fois proche et profond, tout vibrant de mystères impalpables. Lorsque deux êtres sont en présence, comme dans "L'as de cœur", ainsi que "Le portrait", on ne peut s'empêcher d'évoquer les altières figures d'un drame antique, qui serait devenu un drame moderne. Et les rayons d'une lumière fantastique, douce et implacable, que l'on retrouve dans ses natures mortes et ses sobres paysages, fusant à travers la gamme dominante des noirs et blancs, suggèrent la permanence de la grandiose fatalité qui gouverne le Monde. Mais toute grandiloquence est bannie, même toute horreur tragique. La grâce d'un espoir, toujours reste présente. L'art de Campagnola est de ceux qui rendent confiance dans la force grave de l'homme, dans sa vocation de noblesse et de beauté. ..."
1965 - Some Press Report  (Divers)
    "... SOME PRESS REPORTS

In broad brushstrokes angular, precise and full of tension Campagnola, whether it be a portrait, still-life or landscape shows an original style. A master of technique he gives free scope to his inspiration. No trace of fantasy - unless it be a sort of sombre humour in certain compositions - marks these paintings which are powerfully constructed; Realism ? Mysticism ? One hesitates to say which. L.G. "L' Oeuvre".

Campagnola has been painting now for many years but has so for held few exhibitions. His landscapes and portraits show a rare sensitiveness. "Herald-Tribune".

In his recent exhibition Campagnola shows a personal vision both in landscape and in still-life which are painted with nuance and well designed. A.H. MARTINIE, "Le Parisien".

Campagnola is an artist who possesses remarkable technical knowledge. By his rich matter and his use of dark tones he expresses a dramatic atmosphere, particularly in landscape. A.N "Pictures on Exhibit".

Campagnola builds cap his work in a sober, athletic style. Throughout the tragic aspect of these paintings one can detect a rare sensitiveness. His drawing is sound and despite the dark tones of this work he remains none the less a genuine colourist. D.A. "The New York Times"

Campagnola designs his work in a rough structure steeped in pale blue and ochre. In his mysterious way he conveys an emotion that touches us deeply. René DOMERGUE, "L'Information".

Campagnola impresses us by the dramatic quality of his compositions richly constructed in dark tones, and supported by strong outlines. George HILAIRE, "Dimanche-Matin".

Here we have the case of a painter whose work is carefully executed: he has his own style, his own way of creating volume by means of a nervous graphism, his own manner of casing colour. Pierre DESCARGUES, "Lettres Françaises".

Here is the rare example of an artist who, despite his possession of a solid technique, has never been in a hurry to show his work. After his first exhibition both amateurs and collectons have become interested in this artist who has worked so long in silence. "Daily Telegraph".

With bis extremely personal style, bothe rough and severe, by his compositions which are scarcely coloured, Campagnola reveals a world of poetry. In its density and relief, in its power of suggestion his art is original. G.J. GROS, "Carrefour".

Campagnola has constructed his own pictorial vision of the world. In pattern of delicate outlines not lacking in strength and with a subtle scheme of colour he paints luminous landscapes, precious still lifes and solid portraits. J.B "Arts".

It is with surprise that many will discover the secret nature of this artist who has created an original style both in colour and design. Campagnola is a competent draughtsman who expresses himself in simple and precise outlines. In his portraits, landscapes and still lifes he has only one idea: to express himself as perfectly as possible. J.P. CRESPELLE, "France-Soir".

Campagnola paints figures, landscapes and still lifes with great care and seriousness. His colour is sober and discreet and integrated into an ash grey shiny impasto. His art gives the impression of excellent taste allied with sincerity. M.C.L "Le Monde".

His subjects are presented in a style which is both delicate and vigorous. Rich in texture, of soft velvet tones, his forms are enclosed in thick heavy outlines, the graphic pattern giving a subtle character to the composition, enhancing the iridescent colour and warm tonalities. Christine GLEINY."Arts"

Campagnola at the galerie Beilin (New York) Rich in density and transparence, with a glowing texture that suggests enamel, these canvases give a mysterious intensity to the figures created by Campagnola. They emerge from a dense impasto which evokes a strange luminosity and the style gives them an individual character. "Duo" is a fine painting in which grey harmonies animate a decorative background. "House in Vendée" conveys a feeling of silence and solitude in a very simple way. "France-Amérique".

In an expert technique of superposed glazes Campagnola, an Italian artist, shows a very personal way of reading the human figure in a grave monumental style. We, for our part, prefer the sumptuous dark landscapes. R.B "Paris-Presse".

These recent paintings - compositions, landscapes, still lifes, flowers, young women, show his stylisation of form and his simplification to what is essential, in subtle harmonies. In Campagnola we find both strength and elegance expressed in an expert and instinctive combination of grave and austerity. Campagnola an Italian sculptor and painter at the galerie Madsen has created his own personal style both weighty and spiritual by means of superposed glazes. J.P. CRESPELLE. "France-soir"

Campagnola who was trained as a sculptor, attaches great importance to the form of the block with its traces of the chisel which called it to life. A painter of figures, there is nothing frivolous about his art. The weighty thoughts and the clear outlines of his models, which face the spectator are not intended to astonish. Campagnola expresses the spirit rather than the outer aspect of his subject. The landscapes and still lifes possess the same weighty qualities where every sign tells. These paintings in which the artist is very sparing in colour show no rifts through which anything foreign to their nature could penetrate. His work is definitely original. Jean CHABANON, "Le Peintre"

Campagnola is an artist who prefers sombre harmonies. He works from nature in powerful graphic outlines; his material has the beauty of enamel. Maximilien GAUTHIER, "Les Nouvelles Littéraires".

For the first time this artist exhibits his richly painted compositions in which every element of the painting is raised to its highest power. This does not prevent Campagnola from expressing himself almost exclusively through black and white values. The design is sure and decisive and the ensemble moves us by its inner sense of the dramatic. J.A. CARTIER, "Combat".

One would hardly expect to find a manierist style of painting in the work of Campagnola. His sense of research his use of materials in a way that is quite personal gives a rich quality to his painting made up of vigorous brushstrokes and precise drawing. "Il Gazzettino Venice".

Campagnola with a collection of recent paintings at the galerie Madsen is more ample than in his previous work. The texture of the canvas worked over in minute detail gives a metallic resonance to the figures and depth to the painting. "La Seine" a large reclining figure, with Notre Dame, seen through a window is raised to the plane of the symbol without being artificial. His landscapes have a rustic solemnity and he knows how to evoke the distinction of Venetian art in the language of to-day. "The arts Review".

Enrico Campagnola is the case of an excellent sculptor who has taken to painting. The case is a rare one and the only recent examples are those of Maillol and Bourdelle. His painting which had the dense quality of a mural has become smoother and finer and the colour scheme, mostly in neutral tones is more refined. J.P. CRESPELLE.

Campagnola draws his inspiration from the tangible world particularly from what is most precious in it, the human being which he depicts in a variety of figures. Gifted with a powerful style he shows a bewildering variety of expression. Christine GLEINY, "Arts"

Born in Switzerland in 1911, Campagnola is of Italian origin. Thanks to a scholarship, studied at the Beaux-Arts in Rome where he obtained the grade of professor. Previous to his studies in painting Campagnola was a sculptor and this eventually came to influence his technique. He has always been indepen- dant, even in Paris where he has assimilated all that die art world can offer and has been able, by his following another profession, to remain free. He took part regularly in a number of art shows here as well as in the Venice Biennale. Campagnola's art is remarkably personal and definitely expressionist in that he has corne to express his attitude to life. After all Campagnola can be said to paint for his own pleasure. His original gift of sculpture has set its mark on his style. In his early phase he made use of a dense and solid impasto such as he still employs. This he transposes in delicate layers and in cubic forms like those of a sculptor. The subtle quality of his colour sombre and powerful has a massive appeal. His predilection for weighty effects is one of his distinctive characteristics. Later on when he came to search for iridescent effects he found them in the relief of his heavy impasto. As a colourist Campagnola does not aim at brilliance. This he can obtain from a fusion of half tones of green; light brown, ochre and grey which impart a poetic atmosphere. This love of rich texture can be seen in his dark landscapes with high horizons, grey skies, and monotonous foregrounds where the material quality alone conveys a sens of life. It is just this quality which lies at the oasis of Campagnola's style. The movement of the composition seems to emanate from the smooth dense nature of the paint which reminds one of lava or of marble. The attitude of a young woman holding a thistle expresses the artists vision of the spirit escaping for a moment from the dense life of the body. His particular philosophy of the human being emerges directly from the clay in which he is made. And it is just this which gives permanence to his art. H. D. "L'Amateur d'Art".

Campagnola - a painter of human dignity. The maintenance of human dignity is one of the leading features of our time. Contemporarv artists, however, are often the first to make light of it, both by their scurrilous themes and decadent way of painting. This contrast is astonishing. But here is an artist who is fully conscious of this question and does not hesitate to make it the "'raison d'être" of his art, a serious painter in every sense of the term: Enrico Campagnola. His very personal vision evokes all that is solid, lasting and noble in nature and above all the fragile and ephemeral human figure. Trained as a sculptor he knows how to express in his images of young women a pure and plastic relief. The popular realistic manner of his earlier work has made way for a severe dignity in which the pure outlines of the Florentine style are blended with a certain French simplicity. The meditative expression of his faces, with dark eyes, the supple limbs, the subtle refinement of the hands compose the poetic life of the human body, ever renewed, for ever young. Around these figures the decor of walls, furniture, objects, and windows glimmering with light evoke the presence of a world both near and afar, vibrating with an impalpable mystery. The fantastic rays of light, now soft, now hard, which one finds in the still lifes and landscapes as they perforate the dominant scheme of black and white tend to evoke that ever present and overwhelming fatality that governs this world. There is no grandi loquence in all this, no trace of tragic horrors. On the contrary the possibility of some gracious and hopeful outlook is always present. Campagnola's art conveys its confidence in the dignity of man and his sense of beauty and nobility. Raymond CHARMET.

Campagnola is showing a collection of paintings richly coloured and admirably composed. His canvases have a precious quality and show delicate gradations of colour. His still lifes are constructed with great simplicitv. His colours are quite personal with their gradations of grey blue green and orange. Figures charged with intense life, landscapes remarkable for their atmospheric effects show that Campagnola is an artist greatly gifted. George FLECHAU, "L'Assurance Française". ..."
1965 - Campagnola   (Barnet D. Conlan)
    "... Campagnola is an artist who has had to fight his way through years of difficulty and hardship to eventually reach a position of success. He has had to struggle for his life as well as for his art, and is in every sense of the term a "self-made man" ! Of Italian origin born in 1911 he began, at the early age of 3, to experience the horrors of war and invasion. His familv who lived in the little town of Possagno in the province of Venetia were caught in the disaster of 1914 and obliged to abandon their home and possessions to save their lives. On their return to Possagno they found everything in ruins and were obliged to begin all over again, despite the father's ill health, who had been seriously wounded in the war. As a boy Campagnola had to face the battle for life and this very necessity seems to have tempered his spirit and given him the strength to overcome all the obstacles that stood in his way of becoming an artist. Possagno which is the birthplace of the sculptor Canova possesses a museum of his works. At six years of age we find Campagnola weeding the terrace before the museum for the sum of one dime a day ! There is something amusing and, at the same time, perhaps symbolic in all this when one learns that among his own ancestors were several well known sculptors. Because of this, perhaps, he soon showed himself to be an artist born with an irresistible desire to create. For this purpose he procured clay from a neighbouring pottery and began to model his figures in a small studio which he had arranged for himself, in the loft of the house. When ten years of age, the parish in which he lived, purchased a small statue from him for the sum of ten lires which he gave to his family. At the same time he helped them with money which he earnt as a carrier a labourer and a house painter. In spite of all such difficulties he nevertheless found a way to continue his training in art and was finally awarded a scholarship which enabled him to study in Rome for a period of six years. This was the formative time of his life during which he assimilated the classical art of the past as well as some of the contemporary trends of that time. He was thusequipped for finding his way through the difficult labyrinth of modern art and later on he carne to study and work in Paris. Here he soon found himself involved in what is possibly the greatest revolution in art that has ever taken place. It is an upheaval that is far frorn being at an end since the New Era which was ushered in by the explosion of Hiroshima is nothing less than a complete transformation of life in all its phases by Science, by nuclear physics and new engineering techniques. The stable architectural arts of the past, as they have been handed down to us by the Mediterranean civilisations of Crete, Egypt, Greece and Rome are now threatened by all the radical changes now rapidly taking place under the new order of things. To-day the artist is overwhelmed with a thousand new influences which have flowed in from Asia, Africa Mexico and South America as well as all the archaeological findings of the last ten years. In the same way as production of every sort has been speeded up, so it is with art which has begun to accelerate its search for a new language which will express its changed attitude to the Absolute. Many of the old forms have been neglected by the avant-garde and what was stable has made way for aconstant change and renewal of forms such as is seen in the work of Picasso. From one phase to another, from Impressionism to Neo-impressionism, from geometric abstract art to tachism, there has been a steady elimination of the natural form until, in the final phase the empty canvas has been put forward as a work of art. A similar spirit of nihilism is to be found in certain contemporary philosophies and is a symptom of the atomic age. Campagnola has never been carried off his feet by these new fashions. His early training as a sculptor has led him into the opposite direction, and it is rather towards the cultivation of form that his art has always inclined. From his first attempts as a boy he was always greatly attracted to the human figure. One of his favourite sayings is that "Whoever knows how to build up a figure will be able to do anything". Quite apart from his classical training in Rome, as a boy he was drawn naturally enough to the great artists of his native province - to Bellini, Carpaccio, Giorgione, Titian, Tintoretto and Veronese in whose paintings the natural scenery was quite familiar to him. It was at this time lie visited the birth place of Titian at Cadore, the hills around Garda following up the trace of all these artists whose work influenced his early years. All this proved to he of great importance later since every artist requires a repertory of forms on which he can draw at a moments notice if he is to meet the demand of a sudden inspiration, and it is in the art of the great masters of the past that these are most likely to he found. Having assimilated all the pictorial riches of his own country during these early years he has never lost sight of them since their presence makes itself felt throughout his work,like an aura of the past. The style, however, that Campagnola has gradually fashioned for himself owes much also to modern art as it is practised in Paris during the last twenty five years. Perhaps, at no previous period, has there been so constant a desire for change and renovation, so steady a demand for novelty, at any price. He his with the belief that art should keel, pace with Science has destroyed all stability. In contrast to all this, there has been the discovery that certain cave paintings which (late back forty thousand years are more subtle and in a sense more up to date than much contemporary art. l can remember, in my early years, meeting with the art historian Elie Faure who assured me that art as we had known it, was coming to and end, in the future, would possibly be replaced by the film. Had he lived to witness all the changes that have occurred in the last ten years he might have been even more convinced. After the Atomic Age had been ushered in by the carthquaking explosion of Hiroshima, it is not astonishing that the majority of young artists should he swept off their feet be the tide of innovation. Campagnola, just because his art has roots that extend far into the past had more stability. He is not opposed to change but his style has adapted itself more slowly to the new movements because with him the change is in terms of depth and not merely on the surface. Indeed one of the most striking features of his art is the care with which he builds up the substruc- ture of the canvas, so that the figures appear to emerge, like bas-reliefs on a wall.The detail of this back- ground is then worked over with the meticulous care which abstract artists give to the texture of their work. In this he has something in common with Chardin Like him he is an excellent craftsman, a born artisan. the distinction is now well worth noting because the artisan is much rarer than before, and a great deal of ignorant prejudice has been levelled against him in favour of an art of "laisser-aller" which pretends to be more inspired and more spontaneous, but in reality has often no sort of foundation. In the early landscapes which Campagnola painted, after his arrival in France, there is a toughness and a rustic quality which shows that from his early years he had been in close touch with life on the land. His paintings of distant farmsteads lying low on the horizon seem to be a part of the land itself and to continue its outlines. Generally it is the winter season when the leafless trees stand up like carved figures, and their sculptural forms have much in common with those of a village church or the outlines of a farm. One has to go bath to such artists as crome of the Norwich school or George Michel, in France, to find the same degree of rusticity. With Campagnola however I am inclined to think that all unconsciously he has inherited very ancient influences which are still invisibly active in the Italian countryside. These may be older than Rome itself and may emanate from the ancient Celts and Etruscans who were there long before the Romans. He himself Has those serious qualities which we associate with the Etruscans' something which has always been indigenous to Italian art. The fact that his ancestors were rooted in the countryside means that he is more likely to understand the past than artists who have become intellectualized in the big cities. One has only to talk with him a moment concerning the artists of the Quattrocento to discover an attitude much more vital than that of the average professor. It is perhaps to his advantage that his destiny has kept him away from the more conventional views of the art world, and from all those new trends which have not grown naturally out of tradition but have to a great extent been engineered artificiallv. It is almost twenty years now since I first met with Campagnola. It was the period in which he had come to develop his own language, a language which is quite impersonal. He would work on far into the night, and often into the early hours of the morning, dissatisfied until he had conic to express even but a small part of the vision that was in him. During those years of resistance to hardship his thoughts carne to he drip en inward towards the deeper recesses of the mind and he began to perceive forms that had something of the nature of archtypes. This explains the impersonal expression of his figures. Campagnola never lost touch with the classical tradition into which he was horn which is another reason why his art should tend toward the impersonal since classical art is always concerned with what is general, what is permanent. This is a word which he is always fond of repeating, and which well defines his own attitude to art. Unlike many of his contemporaries he does not require a sophisticated language to define his art. The simplicity of his language is almost disconcerting. "Art is always the same because man never changes. What was painted twenty thousand years ago in Lascaux is not radically different from the art of to-day, except that, in some respects, it is superior. The essential that it should be human. A satellite, so long as it is in contact with man, has its value. Should it lose this contact then it is worth nothing." It is in this terse language that he expresses what he has to say. Some years ago when certain forms of advanced art were in a much more flourishing position than they arc to-day, Campagnola was listening to an artist, in the tachist style explaining his work in very sophisticated terms. Annoyed by his pretentious attitude he enquired - "How is it that you live in exactly the same way as everyone else, you think and speak in the same way, and yet you paint in a manner that is unintelligible. By his sense of craftsmanship he soon detected the spurious nature of the artists work. Had he been genuine, even though he were abstract, he would not have objected. If he has not been carried off his feet by all the recent developments, that is because sonie of them are more or less latent in his own work. The background from which his paintings are built up might very well pass off as an abstract composition, so carefully has it been worked over. At one time a dealer offered to take these backgrounds from him and sell them as abstract works of art. Naturally he refused since they would have been spurious not being in his intentions. And the texture of his finished compositions is itself a work of art, something that one can admire for its own sake. Here one could find a parallel with the new movement of texturology The difference lies in the distinction between the two motives. The other artists are specialists and only interested in isolating certain characteristics of the painting as a chemist isolates an element. In a scientific age, like this, such a method would scan to have a special appeal. Campagnola is, in his own way, also interested in exploring the possibilities of these new trends and, in this, is just as much a product of his time as are these other artists. His attitude, however, is different for he is concerned with orchestrating all these different elements into a composition. The Italian spirit in art springs from the great fresco painters of the past and is more ample and rhythmic than the French tradition, which stems from the miniature. And so with Campagnola, his art has a certain spaciousness which perhaps is natural to an Italian who comes from the same region as Giorgione. For the same reason he has certain Byzantine characteristics - a wealth of pattern and colour and a richness of texture which suggests mosaic or the lustre of porcelain. The Byzantine tradition has lived longer than the other western styles-Greek, Romanesque, Gothic, etc., and lasted on in Russia to the beginning of this century. It flourished in Venice and Ravenna and had important effects on Italian art. It is not astonishing then that Campagnola should show traces of this influence. It is his way of approach, however, which is interesting. He is exclusively given over to the technical side of his art and it is this which directs him, for the intellect hardly ever consciously intrudes. It would seem then, as if those deeper recesses of the mind take charge in order to express a life that goes back beyond the individual, imbedded as it were in the memory of the race. With Campagnola this Byzantine aspect of his art has matured slowly. It was present to some extent in his early landscapes and figures which despite their rustic character and Celtic simplicity possessed a certain hieratic immobility. In the last few years this influence has gained ground considerably. The result is an art of incom- parable richness, both in colour and in texture. By its stillness and its hieratic poise it is something half oriental in spirit, and in this is poles apart from the frenetic movements of modern life. Perhaps just here is its attraction for the future. It is significant that some of the most advanced painters are now looking in this direction. A statement made by All. Reinhardt concerning Asia's art shows a decided change in outlook. "If there is one thing to say about Asia's art, then it is about its timelessness, its monotony, its inaction, its quietness, its dignity, its negativity... Nowhere in world art has it been clearer than in Asia that anything irrational, momentary, spontaneous, unconscious primitive, expressionist, accidental or informal cannot be called serious art." The Byzantine tradition, however, had introduced this aspect of the Orient more than a thousand years ago, and it is from this tradition I think, that Campagnola may have come to assimilate it. It is only in the last decade or so, that the Byzantine style has drawn the attention of contemporary artists. Matisse was among the first to have penetrated to some extent its difficult language; and the specialists are now of opinion that the landscape elements in it may have been derived from Chinese art. The figures in Campagnola's work are, in their way, mysterious. Reserved and remote from personal emotion they have an air of waiting for spiritual intimations coming to them from the stillness around. Moreover they- have the appearance of masks. When I first mentioned this to the artist I realized that he was unaware of it. This would seem to show that, in all his work, he is guided by deeper motives than those of the intellect The mask is the gateway to the invisible world, that is within us. It opens on to the realms of the collective Unconscious, the world beyond time, and shuts out the more ephemeral aspects of the individual. When powerfully concentrated in its expression of some particular passion it can be demoniac as in certain African ritual masks. On the other hand, with the Greeks it represented a godlike state of mind,it was associated with the chorus and with a higher form of consciousness. With Campagnola there is something similar, for his figures mean more than the mere individual and at times, could very well be taken for symbols of the Muses. The wealth of colour, the mosaic-like richness of pattern and the wide open-eyed mask-like figures which might well be the goddesses of the Hesperides have at last brought him the golden apples. Like all genuine creators he has had a long hard struggle. It has not been easy. BARNETT D. CONLAN. ..."
1967 - Who's Who  (Who's Who)
    "... Campagnola (Enrico), Artiste peintre. Né le 1er Août 1911, à Saint-Imier (Canton de Berne, Suisse). Nationalité Italienne. Fils de Raimondo Campagnola, commerçant, et de Mme, née Maria Zalunardo. Etudes : Lycée de Venise, Université artistique de Rome. Diplômes : Licencié en sculpture. Carrière : Sculpteur (1928-1947) en Italie et en France. Artiste peintre en France (depuis 1950). Impressionniste. Tableaux acquis par l'Etat, la Ville de Paris et les Musées des Etats-Unis. Expositions privées à Rome, à Venise, à Paris et à New-York; expositions à la "Quadriennale" de Rome, au "Salon d'Automne" et à la Galerie Charpentier à Paris, au Musée de Besançon, etc...Oeuvres : nombreux personnages, quelques nus. Adresse privée : 32, rue du Soleil, Paris 20° (de 1968 à 1974) ..."
1986 - Campagnola-Les dames au chapeau  (Suzanne Bret)
    "... Enrico Campagnola. 1911-1984 Vénitien, il se fixe à Besançon, après avoir obtenu un diplôme section sculpture clôturant 8 ans passés à Rome, puis vient à Paris en 1948. Une sculpture "Sainte-Anne apprenant à lire à Jésus" est le témoignage préservé d'une précoce maturité artistique et d'un travail déjà intense pour un enfant de 10 ans.

L'assimilation de l'expérience des autres : Antonio Canova à Possagno (Vénétie) où il vécut son enfance, puis de plus grands plus tard à Rome et à Paris, ainsi que sa double appartenance culturelle, enrichiront sa créativité spontanée qui nous met en communication avec son monde irréel et cependant si familier : paysages de nulle part, natures mortes, sculptures dont certaines inspirées des métamorphoses de la nature, et de multiples personnages sans modèles, mais semblant issus d'une même famille, nobles et fragiles, sereins et contemplatifs, avec un infini regard qui nous invite à explorer l'infini de leur monde intérieur.

Tel un chercheur, il a jusqu'en 1984, accompli d'oeuvre en oeuvre, une évolution très personnelle faite de contrastes intenses ou de nuances subtiles, de modulations expressives qui lui ressemblent tant. Cette prodigieuse faculté de diversité de ses dons de créateur est révélées par la juxtaposition de ses oeuvres et illustre à travers la permanence de la femme, son inépuisable amour de la beauté. Suzanne Bret. ..."
1986 - Campagnola-Deauville  (Suzanne Bret)
    "... Enrico Campagnola n'était pas un enfant comme les autres. Né en 1911, de parents pauvres, il devait, dès l'âge de cinq ans, pour gagner quelques lires, avec ses petits compagnons d'infortune, désherber l'esplanade du Temple Antonio Canova à Possagno (Vénétie), où il vécut son enfance. Est-ce là, si près des oeuvres du célèbre sculpteur, notamment de la famille Bonaparte, que naquît chez ce petit garçon, cet impérieux besoin de créer qui ne disparaîtra qu'avec lui, le 27 Mars 1984 ? En effet, il allait chercher, en courant pieds nus pour aller plus vite, de la terre à la carrière voisine, et, si souvent, que l'on raconte à Possagno, que le propriétaire en avait pris ombrage. Ces petits chefs-d'oeuvre qu'il faisait sécher au soleil, lui donnaient beaucoup de soucis, au point qu'il devait manquer la classe, "parce qu'il avait autre chose à faire de plus important que d'apprendre ce qu'il savait déjà".

De cette époque, seule "Sainte-Anne apprenant à lire à Jésus" subsiste, retrouvée dans le grenier de son enfance en 1978, mutilée, mais témoin d'une maturité et d'une sensibilité qui étaient l'essence même de son caractère. Inquiet pour son avenir, avide de connaissance, pressé de vivre, il aimait la compagnie des adultes qui pouvaient lui apporter leur expérience intellectuelle ou manuelle, et lui permettaient ainsi, d'être toujours en avance sur les enfants de son âge.

Après de brillantes études jusqu'au baccalauréat, il se fixe avec sa famille à Besançon, où peu de temps après, il obtient une bourse, à la suite d'un concours qui lui ouvre les portes de l'Académie Royale des Beaux-arts de Rome où il obtiendra le diplôme de Professeur en 1934. De retour à Besançon, il se marie avec Jeanne Gentil, très jolie Franc-comtoise, si attachée à ses origines, qu'elle ne franchrira presque jamais les frontières du Doubs, où elle se plait encore. Il exerce à l'Ecole des Beaux-arts de Besançon en tant que professeur de sculpture et réalise quelques monuments. Il participe au Salon des artistes Français avec un bois sculpté : "La femme à genou" qui obtient une médaille.

Mais il rêve de se fixer à Paris, étape importante après Rome, pour son épanouissement. Cette possibilité lui est offerte en 1948 avec un poste de graveur en héliophore, technique qu'il avait mise au point avant la guerre, avec son inventeur Monsieur Dufay. Sans atelier pour sculpter, il consacre son temps disponible à la peinture. Ceux qui ont eu le privilège de vivre en compagnie de Campagnola, entendent encore le crépitement de ses paroles imagées, violentes ou délicates, la justesse de ses propos sur toutes choses, drôles ou incisifs, issus d'un raisonnement subtil et d'une si parfaite connaissance de la nature.

Ils entendent les vibrations de sa voix de ténor dans le répertoire de l'opéra italien. Ils se souviennent de son regard vif qui enregistrait couleurs et formes, pour les intégrer plus tard, dans ses oeuvres en leur donnant sa griffe. Sans modèle (ni palette) Campagnola trouvait dans cette réserve inépuisable de son monde intérieur, les clichés de la vie, enfouis mais jamais oubliés. Avec "Le nu aux coquillages" appelé aussi "Nu de Deauville", réalisé en 1954 (devenue plus tard avec une chemise "La fille Robert", il remporte le premier prix du concours international organisé à Deauville, qui le fait connaître par les médias. Bruno Bassano, grand découvreur de talents, lui propose alors, dès 1955, de partager sa galerie de la rue Grégoire de Tours à Paris, avec le peintre Simon Ségal. La Ville de Paris et l'Etat Français, font l'acquisition d'oeuvres.

En 1956, Bruno Bassano organise avec la galerie Seventy Five, une première exposition à New-York, où l'on peut voir Campagnola, qui ne connaissait pas la langue anglaise, s'entretenir avec de hautes personnalités, notamment Mr Kennedy et Miss Gugguenheim. Rome, Venise, l'invitent et acquièrent des oeuvres, ainsi que d'autres musées à travers le monde. En 1958/59 Monsieur Madsen, dont la galerie rue Saint-Honoré attire une clientèle américaine exigeante, lui propose une exposition permanente de ses oeuvres. A partir de cette époque, Campagnola (toujours graveur en héliophore jusqu'en 1962) réalise des oeuvres destinées à une clientèle qui lui impose un certain style et paralyse son évolution.

Il devra attendre 1968 l'acquisition d'une ruine à Saint-Martin de Brômes (Alpes de Haute-Provence) en vue de peindre et sculpter, pour délaisser les contraintes commerciales, ce qui ajouté à la mauvaise conjoncture de l'époque, oblige Monsieur Madsen, à fermer sa galerie en Septembre 1972 et à s'installer à Deauville, où il décède 9 jours après.

Libéré de toute contrainte, hormis celle de "maître d'oeuvre" de sa nouvelle demeure, Campagnola intensifie ses recherches pour atteindre une haute virtuosité et une maîtrise totale de son Art, en peinture comme en sculpture. A Paris, Besançon, Saint-Martin, on le voyait rarement travailler, accaparé pour de longues parties de boules, par ses amis, par les travaux de restauration de sa maison, etc..., mais sa rapidité d'exécution n'avait d'égale que la rapidité de sa pensée créatrice. Sa parfaite connaissance de la nature avec laquelle, depuis l'enfance, il n'avait cessé d'être "en prise directe" faisait naître chaque jour, ces décors, ces paysages de nulle part où l'on s'évade, et ces êtres imaginaires qui nous fascinent et qui nous invitent à partager leur sérénitité, leur dignité, et à travers leur infini regard, à explorer l'infini de leur monde intérieur.

Si Campagnola introduisait la couleur par de rares petites touches dans ses peintures très structurées des années 1955 réalisées principalement la nuit, des glacis tels des émaux font leur apparition à partir de 1958, remplacés par des tonalités éclatantes enrichies d'une matière élaborée préalablement comme un bas-relief. Dominées par une explosion de couleurs, ses oeuvres atteignent, vers 1980, une remarquable délicatesse de tons et la pureté du presque blanc, tandis que dans ses sculptures, le modelé du fer le plus rude en apparence, est d'une surprenante douceur.

Tel un chercheur, il a jusqu'en 1984, accompli d'oeuvre en oeuvre, une évolution très personnelle faite de contrastes intenses, ou de nuances subtiles qui lui ressemblent tant. Cette prodigieuse faculté de diversité de ses dons de créateur nous est révélée par la juxtaposition de ses oeuvres et illustre, à travers la permanence de la femme, son inépuisable amour de la beauté. La préoccupation des derniers mois de sa vie était d'avoir encore beaucoup de projets à réaliser, prêts dans son esprit à commander à ses mains si habiles, de nous les livrer. Suzanne Bret. ..."
1986 - Campagnola-Deauville  (Anne d'Ornano)
    "... Boudin, qui vécut et mourut à Deauville, a peint ses plus belles toiles sur les bords de la Touques. La ville ne possède cependant aucune oeuvre de ce génie, très longtemps méconnu de ses concitoyens.

Jonking, Monet, parmi les plus célèbres peintres de l'estuaire, révélèrent l'éclat ouaté de notre ciel et le charme verdoyant de nos côtes. Or nous ne possédons pas la moindre étude, pas la moindre esquisse de ces Maîtres qui contribuèrent pourtant au renom de nos plages. Il est vrai que jusqu'au début des années 60 Deauville offrait l'image d'une grande dame frileuse qui ne livrait ses charmes qu'aux seuls estivants sensibles à la douceur Augeronne. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le développement des résidences secondaires, l'ouverture de l'autoroute de Normandie facilitèrent les échanges hors saison. Les français purent découvrir l'importance et l'attrait de nos équipements touristiques. Les congrès et les séminaires, de plus en plus fréquents, offrirent des débouchés à notre économie locale.

Aujourd'hui Deauville se veut ville de rencontre, ouverte sur le monde, disponible la plus grande partie de l'année. Sans renier l'héritage qui a fait notre réputation, nous nous sommes efforcés d'acquérir une dimension nouvelle pour satisfaire une clientèle plus large. Dans cet esprit, l'ouverture d'un Musée dans la belle villa que Peter Strassburger a offert à la Municipalité en souvenir de ses parents doit être un argument de valeur. C'est dire combien nous avons apprécié l'importante donation, qui nous a été consentie par Suzanne Bret et la famille Campagnola, d'oeuvres du peintre Enrico Campagnola.

Vénitien d'origine, dont le nom fût officiellement consacré pour la première fois à Deauville, l'éclectisme d'Enrico Campagnola est aujourd'hui reconnu.

Je retrouve chez ce peintre ce que Delacroix disait en 1859 d'un jeune talent : "Quelque chose de naïf et de hardi en même temps, qui rappelle les grâces de l'enfance.

Anne d'Ornano. Maire de Deauville.1986. ..."
1996 - Campagnola-Sculpteur et peintre-  (Emmanuel Bréon)
    "... Enrico Campagnola. De la tradition à la modernité Raconter, décrire l'œuvre de toute une vie, celle d'un artiste que l'on n'a pas connu intimement tient véritablement de la gageure. Quelques notes éparses, de vieux articles de journaux, des photographies plus ou moins bonnes, est-ce suffisant pour amorçer une étude ? A-t'on le droit d'aller plus avant dans sa tentative d'écriture ? Quelle forfanterie ne va t'on pas commettre ? Et puis il y a le mystère de la Vie ! Une personne qui l'a aimé et admiré vous le remet tout doucement et délicatement en scène. Par petites touches régulières, les témoignages se succèdent et s'accumulent. L'image initialement floue se fait de plus en plus nette. L'artiste ou plus exactement l'homme renaît alors à la vie grâce à l'amour des siens et parce qu'il n'a pas manqué d'en donner.

Et puis il y a l'oeuvre ! Tentative universelle, extraordinaire et émouvante à la fois de tout créateur aux fins de dire : "Vous voyez bien que j'étais immortel ! mon travail est là que vous contemplez et par lui je communique encore avec vous. Regardez la trace de mes doigts dans la glaise, ces digitales empreintes, le sillon de la gouge dans le bois choisi, ce coup de ciseau dans le marbre de Carrare ; mon talent voire mon génie, il vous appartient de les juger. Plus ils seront grands à vos yeux et plus je me survivrai".

La Vie et l'oeuvre d'un homme sont, bien sûr, inséparables. Même partiellement reconstituée, l'histoire d'une vie éclairera d'un autre jour les créations de l'artiste en les rendant davantage intelligibles car plus humaines. Toujours imparfaitement recensé et rassemblé - mais on n' a jamais fini de travailler au catalogue d'un peintre ou d'un sculpteur - l'oeuvre, comme en écho, reflétera la Vie de l'homme, allègre ou mélancolique, sereine ou révoltée.

Enrico Campagnola a passé son enfance puis son adolescence en Vénétie. Voilà une affirmation qui pourrait paraître bien banale à celui qui n'a pas la chance de connaître ce pays et pourtant elle éclaire toute une vie, toute sa vie. Une fois découverte, on n'échappe pas à l'Italie "vieille maîtresse, ou mieux épouse affectionnée qui ne déçoit jamais", selon le mot de Maurice Denis ; et lorsqu'il s'agit de sa terre natale, on est marqué à jamais. L'Italien sait mieux que quiconque ce qu'il doit à sa culture : son respect des anciens mais aussi et surtout cette inventivité, cette créativité toujours renouvelées.

A ceux qui disposent d'une heure ou deux après Venise la conquérante, nous conseillerons la poursuite de leur route vers le nord jusqu'à Possagno. Ils reconnaîtront de loin ce village, grâce à un monument surprenant qui émerge du flanc des collines: Temple antique? Ossuaire? Rien d'autre qu'une église élevée à la gloire de Dieu mais aussi du grand sculpteur Canova (1757-1822) natif de ce village, sur les plans de celui-ci et à ses frais, en 1830. Elle contient une Pieta de bronze ainsi que le corps de l'artiste. Canova a eu le courage de ne pas copier les grecs, et d'inventer une beauté comme avaient fait les grecs. Quel chagrin pour les pédants ! Aussi l'insulteront-ils encore cinquante ans après sa mort, et sa gloire n'en croîtra que plus vite" a pu écrire Stendhal dans son recueil de voyages à Rome, Naples et Florence.

C'est précisément à Possagno, à l'ombre amicale de ce grand aîné, qu'Enrico Campagnola va faire ses premières armes. Tout gamin, avec les enfants du village, il est chargé de désherber, contre quelques lires, l'esplanade du monument de Canova faite de galets disjoints disposés en étoile. La légende familiale veut qu'il s'adonne très tôt au plaisir du modelage. On ne mettra pas en doute cette pieuse affirmation, non pas qu'elle soit une constante de toutes les biographies d'artistes, mais parce que chez un jeune Italien, elle est loin d'être une exception tant l'Art, dans son pays, fait partie de la vie quotidienne. Au touriste perdu dans l'une des nombreuses capitales de l'Italie, demander le chemin du musée est chose aisée ; l'adulte ou l'enfant saura toujours vous répondre. Et puis la sculpture c'est aussi l'art des pauvres car la terre leur en offre le matériau comme l'un de ses fruits.

A l'âge de dix sept ans, l'artiste suit sa famille qui s'expatrie à Besançon afin d'échapper au fascisme naissant ; autre qualité de l'Italien que celle de s'adapter rapidement à toutes les situations nouvelles, parfois brutales. II s'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts de la ville et c'est, une fois de plus, sous le signe de la tradition qu'il suivra les cours de Georges Laethier, élève de Gabriel Thomas, lui-même élève du grand sculpteur néo-classique Augustin Dumont, Georges Laethier avec lequel il conservera longtemps des liens d'amitié était l'une des figures célèbres du monde des arts dans la région. Exposant au Salon des Artistes Français à Paris, ce sculpteur de talent fut médaillé à deux reprises en 1901 et 1903. Enrico Campagnola, remarqué à l'atelier pour ses capacités hors du commun, fait vite figure de favori et aide souvent le maître pour certaines de ses compositions personnelles. En 1929, l'élève brillant obtient le prix Jean Petit du nom d'un autre sculpteur bisontin qui fut l'élève du romantique David d'Angers.

L'artiste était donc à bonne école et aurait pu se franciser davantage si le mal du pays ne l'avait pas surpris dans sa dix-neuvième année. L'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris aurait pu être sa destinée, sa voie royale, mais c'est à Rome, ville éternelle qui fut choisie par ce jeune rapin en quête de gloire. A moins de vingt ans, il est admis à l'Ecole des Beaux-Arts de la capitale du Latium. Brûlant les étapes, il obtiendra à vingt-trois ans le diplôme de professeur de sculpture. De nombreuses photographies de son atelier de l'époque, où son buste par son camarade Petorossi nous font découvrir un jeune homme au visage lumineux et volontaire, les cheveux abondants et drus, rejetés en arrière à la manière, comme c'est la mode, d'un Jean Mermoz. Boursier de l'Académie Royale des Beaux-Arts, les années romaines sont heureuses et fructueuses. Enrico Campagnola va se former plus complètement à Rome, carrefour international, a plus d'atouts que Besançon pour un jeune artiste dont la carrière est désormais ouverte. II va y fréquenter nombre de cercles intéressants dont celui de l'écrivain d'origine sicilienne Luigi Pirandello avec le neveu duquel il se lie étroitement. Parlant couramment leur langue, nul doute qu'il n'ait fréquenté ses amis français de la Villa Médicis et échangé confraternellement avec eux quelques recettes de sculpteurs, voire quelques plaisanteries d'ateliers.

La famille royale d'Italie est appelée chaque année à inaugurer l'exposition des travaux d'école, italiens comme français. Certains rapins font scandales et les oeuvres doivent parfois être retirées in-extremis pour ne pas choquer la Reine Marguerite. Ce sera le cas pour Evariste Jonchère qui présentait en 1929 une Pasiphaé et le taureau qui ne fut pas du goût du Directeur de l'Académie de France à Rome, Denis Puech.

Nous n'avons que peu de renseignements sur l'oeuvre de jeunesse de Campagnola. Sur certaines photographies de son atelier romain, on peut apercevoir cependant, rangées sur des étagères de fortune ou posées sur des sellettes, des pièces qui ne manquent pas de vigueur et, pour les plus importantes, qui annoncent déjà le grand retour de la statuaire monumentale, véritable caractéristique de cette époque.

Deux très belles études académiques au fusain figurant un jeune modèle féminin de face et de dos, le bras levé, témoignent d'une grande maîtrise du dessin et d'une très apparente sensibilité. La jeune fille aux cheveux bruns est belle et a dû émouvoir plus d'un copiste.

La photographie d'une étude en terre de jeune garçon nu, les mains sur la nuque, atteste, elle-aussi, de réelles qualités. Cette oeuvre en pied, demi-grandeur, n'est pas sans nous faire penser aux petits pêcheurs ou porteurs d'eau de l'important sculpteur Vincenzo Gemito qui dans un XIXème siècle finissant, enfermé dans un naturalisme descriptif, banal, décoratif, avait ouvert l'Italie au monde nouveau de l'art moderne. La rétrospective de son oeuvre, organisée en 1932 à Venise, n'avait sans doute pas échappé à l'oeil averti d'Enrico Campagnola.

Quels sont les grands exemples italiens de l'époque ?

II y a bien sûr Medardo Rosso admiré par Rodin et Degas puis plus tard Edoardo Rubino Angelo Zanelli l'un des premiers à revenir au monumental et qui expose à Venise en 1934, le génial Arturo Martini à l'originalité vivifiante, Marino Marini en marche vers la modernité et dans son sillage Giacomo Manzù. Mais celui dont se rapproche le plus Campagnola, tout du moins dans son oeuvre de jeunesse, est Arrigo Minerbi. Originaire de Ferrare, ce sculpteur, grand admirateur de Donatello, recherchait une perfection, essentielle à ses yeux, à la pratique de son métier. Son oeuvre exprime, en effet, une extrême exigence formelle : modelé irréprochable, poli du marbre jusqu'à cette impression de fondu des arêtes et des angles qui ajoute une force picturale inégalée à ses oeuvres. Enrico Campagnola a-t-il vu l'exposition vénitienne consacrée en 1932 à son confrère ? Nous ne pouvons l'affirmer mais une figure en terre de jeune fille les yeux baissés, n'est pas sans rappeler L'Annonciation de Minerbi de 1932. Les visages de marbre blanc (ceux de la collection du Musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt et ceux photographiés dans l'atelier vers 1933) dont l'artiste aima, à l'évidence, assurer l'exécution peuvent être rapprochés de certains fragments du bas-relief intitulé Maternité lui aussi présenté par Minerbi à Venise en 1932.

Mais foin de suppositions! Le même amour des matériaux rapproche de toute façon les deux hommes comme il a rapproché les artistes de ce temps. Si Campagnola aimait le bois, la pierre et le marbre, c'est que l'histoire à peine ébauchée de l'Art entre les deux-guerres en Europe indique, en effet, pour cette période, le retour en grâce de la taille directe, noblesse de la sculpture ; elle fut adoptée en réaction à la technique du modelage dont les maîtres du XIXème siècle abusèrent.

L'Italie de cette époque est également celle d'une prise de conscience naturelle de la grandeur de l'esprit classique. En France, on parlera du "Retour à l'ordre". Dans la revue romaine Valori Plastici le classicisme est remis au goût du jour aussi bien par de Chirico que par Savinio ou Carra. Le sculpteur Arturo Martini n'a jamais oublié qu'il était né, tout comme Campagnola, à quelques kilomètres du pays de Canova. II avait préparé, dès 1920, lors de l'une de ses premières expositions personnelles, un discours contre la sensibilité impressionniste en sculpture. En d'autres termes, il prônait la forme définie et accomplie en elle-même. Selon Martini la magie évocatrice de la sculpture, son caractère "indéfini" ne devait pas être recherché dans sa fugacité, dans sa capacité à se dissoudre dans la lumière, mais dans l'invention d'une forme à la fois précise et riche d'une imagination sans limites. "Ne pensez jamais que ceci est un nu - disait-il aux étudiants de Venise qui se pressaient pour assister à ses cours - imaginez plutôt que cette forme qui vous tient prisonnier est un voyage pendant lequel vous rencontrez des cascades et des plaines, l'eau et le ciel".

Enrico Campagnola modelant sa Sainte Anne apprenant à lire à Jésus ou bien taillant dans le marbre sa figure féminine du quatrocento ou dans le bois son Offrande pense, lui-aussi, aux grands exemples qui l'ont précédé: Pisano, Donatello et Canova ; mais il y rajoute sa vision personnelle du monde et un supplément d'âme. Ses années italiennes ont donc été pour lui comme un grand livre ouvert mais comme "rien ne pousse à l'ombre des grands arbres" selon le mot de Cézanne, il fallait à l'artiste un nouveau cadre à sa vie et propice au développement de son oeuvre. En 1936, il s'expatrie donc pour la seconde fois en retrouvant les siens à Besançon.

Au moment où son art aurait pu s'épanouir, la guerre va stopper sa carrière et être une parenthèse douloureuse. On ne revient pas indemne d'une telle confrontation. A l'issu du conflit, lui sont confiés deux monuments aux morts, genre sévère auquel malheureusement tous les sculpteurs de sa génération furent confrontés. A Laire, dans le Doubs, Campagnola évite l'évocation rebattue du poilu ou du coq gaulois. Le motif central du monument est occupé par deux figures de femmes encadrant un supplicié. Une infinie tendresse émane de l'attitude de ces femmes, pleines de compassion, qui semblent être le dernier rempart contre la barbarie. Le sculpteur s'est libéré des canons purement classiques et semble avoir trouvé sa voie.

Si l'après-guerre n'est pas favorable à la sculpture, Enrico Campagnola n'abandonnera jamais complètement ce moyen d'expression pour lequel il fut formé. Les calmes évocations de jeunes femmes qu'il donnera en tant que peintre garderont toujours un relief plastique très pur.

Dans les années cinquante, c'est le retour à la vie et à la plénitude. II réalise des femmes galets qui sont autant d'hommages à la femme, à son corps, à sa grâce. Jamais abstraites, ces figures sont modelées rapidement, ne livrant que les lignes essentielles au mouvement. Nous retrouvons là un artiste plein d'une sève créatrice.

Le public, à cette époque, redécouvre Aristide Maillol et Henry Moore, deux sculpteurs modernes mais à la solide formation classique. N'est-ce pas Henry Moore lui-même qui consacrera un livre entier à Giovanni Pisano, hommage d'un anglais à ce qu'il y a de plus pur dans la sculpture italienne.

A la fin des années soixante, Campagnola découvre les lumières de la Haute-Provence à Saint-Martin de Brômes. Elles lui rappellent son Italie natale et ses nobles maçons. Dans sa ruine bientôt retapée du XVIIeme siècle, au pied d'une splendide tour templière, il va encore surprendre en s'adonnant à une nouvelle passion : le fer forgé. Auparavant, il a pris soin de réaliser - élément fondateur - un délicat bas-relief représentant Saint-Martin, patron du village. Ce dernier est réalisé dans la tradition des bas-reliefs romans, autre admiration de l'artiste.

En matière de fer forgé, un autre grand, Alberto Giacometti, a déjà ouvert le chemin. Mais peu importe ! Campagnola conçoit et réalise autre chose. Ses figures légères et fines sont en mouvement. Là où Giacometti exprime un mal de vivre, son compatriote dit, au contraire, toute sa confiance en la vie grâce à un optimisme indéfectible. Ses femmes en marche, ses maternités, son messager de la paix témoignent d'un espoir toujours présent, toujours actuel.

Ainsi fut l'oeuvre sculpté d' Enrico Campagnola, libre, inventif généreux et respectueux des grands anciens ou contemporains. Devenu peintre il n'oublia jamais le beau métier de sculpteur appris dès son enfance. En 1950, Jean Cocteau ne lui écrivait-il pas : "Je vous félicite de porter le relief dans votre âme - je déteste la platitude".

Emmanuel Bréon Conservateur du Musée des Années 30 ..."
1996 - Campagnola, sculpteur et peintre  (Suzanne Bret)
    "... L'ami Campa, une rencontre capitale Né sous le signe du Lion, de Raimondo et de Maria Zalunardo, le 1er août 1911, à Saint-Imier (canton de Berne en Suisse), il vit son enfance à Possagno, village niché au pied du Monte-Grappa, tout près de Bassano en Vénétie. Les Campagnola ignorent que leur nom fait partie d'une lignée d'artistes peintres et graveurs célèbres aux XVème et XVIème siècles, puis au début de celui-ci. Rico est le plus jeune des trois autres enfants : Antoine, Antoinette et Régina. II est aussi très différent : plus petit, plus brun, plus vif et plus sensible. Animé par un feu intérieur, il s'impose et séduit par son caractère. Sa mère est incomparable. Employée de maison chez un avocat, c'est une éducatrice très appréciée. Elle tisse avec lui des liens, faits d'amour passionné et de rapports de force.

1914 - Mobilisation du père et exode à pied en Sicile, puis quatre ans plus tard, c'est le retour dans une maison détruite.

1919 - Pourtant si jeune, il s'interpose entre son père et son oncle, lequel resté en Suisse pendant la guerre, reproche à son frère Raimondo d'être parti se battre. Devant ses parents accablés, Rico arrache la canne à pommeau d'argent des mains de son oncle, le menace et lui ordonne de partir et ne plus revenir. (Presque 50 ans plus tard, ils se reconnaissent aux obsèques d'Antoine, et c'est l'oncle très âgé, qui se précipite vers Campagnola pour lui demander pardon, ajoutant "tu avais raison".)

Rico est l'un des tout premiers à s'engager dans les "balilla", organisation fondée par Mussolini en 1919. La doctrine de base du fascisme, codifiée par le Duce, ne convient pas à l'artiste en devenir : ce sera une parenthèse. A Possagno, où Antonio Canova (1757-1822) est né, a vécu et fait ériger un temple - l'un des plus grands monuments qu'un homme se soit consacré - pour y accueillir sa sépulture, se trouvent regroupés en un musée depuis 1855, les maquettes, les modèles en plâtre, les peintures, les dessins et les meubles du sculpteur le plus célèbre de son époque. L'esplanade de ce monument faite de galets disjoints disposés en mosaïque, est régulièrement désherbée par les enfants du village, en échange de quelques lires. Est-ce là que naît, chez ce petit garçon, cette impérieuse envie de créer, qui ne le quittera plus ?

Pendant ses rares moments de loisirs, que lui laissent des travaux divers, l'école et la promenade quotidienne du cochon (valeur d'or alors) au bout d'une corde, il préfère ses propres distractions aux jeux de son âge. L'inclination du jeune enfant, le conduit à modeler des figurines avec l'argile chapardée à la tuilerie voisine, où il court après l'école, toujours pieds nus pour aller plus vite. Les petites ceuvres réalisées sèchent l'été au soleil et l'hiver près du foyer. Dès cette époque, son art déjà très raffiné, s'inscrit dans la tradition italienne, imprégnée d'une poésie grave qui émeut, telle cette "Sainte Anne qui apprend à lire à Jésus" réalisée vers l'âge de 10 ans. Ce bas-relief est le témoignage d'une maturité précoce guidée par un travail soutenu depuis longtemps déjà. Le thème choisi illustre le rêve de bien des enfants pauvres : apprendre. Brisée par sa mère le jour de sa création, parce qu'elle n'y voit qu'un amusement, il la retrouvera dans les années 70 dans le grenier où il se réfugiait pour dessiner et modeler. (Cette oeuvre me sera offerte plus tard par sa veuve.)

La pauvreté n'entamera pas le plaisir de chanter tout naturellement au sein de la chorale familiale, célèbre dans les alentours. Inquiet pour son avenir, avide de connaissance, pressé de vivre, il aime observer les ouvriers et leur emprunter leurs outils pour tenter de faire aussi bien qu'eux. II est attentif aux propos des adultes qui lui apportent leur expérience, ce qui lui permet d'être toujours en avance sur ses camarades et de sécher des cours, parce qu'il "a autre chose à faire de plus important" (réplique à son institutrice venue à la maison s'étonner de son absence).

Durant quelques années, il est choisi par cette même institutrice pour accompagner pendant ses promenades, un Jésuite âgé, qui ne voudra personne d'autre que lui. II lui dispense une véritable éducation parallèle, qui intègre les notions d'observation, de concentration et de raisonnement, qui sont des règles fondamentales de cet Ordre et qu'il fera siennes. Le vieillard, qui a l'expérience des âmes, distingue chez le petit garçon une volonté farouche de s'épanouir. II lui offre une pièce de monnaie pour l'acquisition d'une petite sculpture en lui disant "rappelle-toi que c'est le premier argent que tu gagnes avec le métier qui sera le tien".

1925-26. Enrico suit les cours de l'Institut Ginnasio des frères Cavanis. II parcourt à pied, ou avec une bicyclette (empruntée), les lieux de Vénétie où des œuvres immortelles éclairent son jeune talent.

1928 - Après de brillantes études jusqu'au baccalauréat, fuyant le fascisme, il se fixe à Besançon où sa famille a trouvé du travail. II apprend très vite la langue française - parlée bientôt sans accent - et l'histoire de notre pays qui est fixée pour toujours dans sa mémoire. II suit les cours de l'École des Beaux-arts de la ville et tout particulièrement ceux de sculpture du Professeur Laethier, avec lequel il conservera des liens d'amitié. Monsieur Charles Walgewitz, élève contemporain de Campagnola, écrit : "Son talent et ses capacités de travail, le plaçaient à un niveau nettement supérieur aux autres élèves de l'atelier de sculpture, que dirigeait alors, Monsieur Georges Laethier Celui-ci, faisait d'ailleurs souvent appel à lui, pour l'aider dans ses travaux personnels - sans parler du "coup de patte" qu'il nous accordait volontiers dans nos propres travaux. Nous faisions souvent des exercices de sculpture sur bois, dans l'orme qui provenait de la place Granvelle à Besançon. Cet arbre, archi-centenaine, étant mort sur pied fût abattu et donné à l'atelier de sculpture de l'Ecole des Beaux-Arts. Dans la base énorme du tronc, le Professeur Laethier fit une réplique d'une de ses œuvres (un homme accroupi, grandeur nature) dont Campagnola effectua le plus gros du travail."

Mais son souhait le plus cher, est de se rendre à Rome, centre incontesté des Arts. Admis sur concours à l'École des Beaux-arts de Rome, le voici devant ce marbre de Carrare, dont rêvent tous les sculpteurs depuis Michel-Ange ; si blanc, si pur, si éblouissant qu'on ne peut le travailler longtemps d'affilée (car à l'époque il n'y a ni ciseaux, ni ponceuses électriques).

II fait d'excellentes études et obtient une bourse, qui lui permet, sans charges pour ses parents, de suivre les cours de l'Académie Royale des Beaux-arts, dès 1930 et d'obtenir à 23 ans le diplôme de professeur, section sculpture. Introduit dans le monde intellectuel de la "cité éternelle", il est reçu notamment chez Pirandello dont le neveu sculpteur est son meilleur ami. Sur le point de se marier avec une jeune fille, amie d'Eva Duarte, qui deviendra Eva Peron (dont le père homosexuel a vis à vis de lui des exigences incompatibles avec sa nature) et refusant de s'expatrier en Argentine, il décide de rejoindre les siens à Besançon, où il se marie en 1936 avec une jolie franc-comtoise, qui ne franchit que rarement les limites du Doubs. De son unique voyage à Paris, en 1955, je garde le souvenir d'une femme gaie, douce et réservée, qu'elle restera jusqu'à la fin de sa vie en 1986.

Sculpteur de talent, Campagnola réalise des ceuvres qui s'éloignent peu à peu du classicisme enseigné à Rome et sont marquées par le style des années 30. Pendant ses loisirs, il fait de la boxe (il désigne avec fierté son nez à jamais cassé). II devient champion de tennis du Doubs, sport qu'il pratique avec Fred Lip, et se lie avec Gérard Weil, deux industriels mondialement connus. II s'initie aux travaux d'horlogerie et invente un dispositif de soudure à la chaîne des boîtiers de montres. A l'occasion, il fait de la broderie avec sa sueur religieuse, qui confectionne des trousseaux et il réalise des chapeaux très appréciés des clientes de la boutique de modes de sa belle-mère.

1936 - II collabore à la mise au point du procédé "héliophore" avec Monsieur Dufay, par ailleurs inventeur d'un procédé de photographie en couleurs "Dufay-color" dont les brevets sont à l'époque, exploités en Angleterre. Monsieur Dufay est collectionneur de papillons. II s'inspire du chatoiement et des couleurs des ailes des insectes, pour créer ce procédé qui consiste à reproduire des mouvements cycliques, en dessinant et gravant les mécanismes - mouvements d'horlogerie par exemple sur un papier d'aluminium spécial. Le dessin gravé minutieusement à l'aide de trames et coloré avec des vernis transparents, est découpé et placé dans son décor resté fixe - boitier de montre - L'ensemble placé dans un appareil, genre télévision, restitue le mouvement, grâce à 4 lampes qui tournent à une vitesse choisie en fonction de la rapidité voulue. L'incidence de la lumière sur la gravure, reproduit fidèlement le mouvement. Des motifs gravés, fixes, sont utilisés en décoration. C'est ce procédé. que je tenterai d'imposer dans le domaine du cinéma d'animation.

1940 - Le 10 juin, contre la volonté de la majorité de la population Italienne, la déclaration de guerre de son pays à la France et à l'Angleterre, place Campagnola dans une situation pour le moins délicate. Secrétaire au Consulat (ou Vice-Consul pour certains), il saisit toutes les occasions pour faire de la résistance au risque de sa vie : il cache des juifs dans le grenier de sa maison, qui est perquisitionnée par les allemands dès le lendemain, sans conséquences fâcheuses pour ses protégés. II doit pour cette occasion, détruire précipitamment ses archives (dont certaines nous seraient si utiles pour cet ouvrage). Une émotion, difficilement maîtrisée, accompagne des récits relatifs à d'autres épisodes douloureux, qu'il révèle avec pudeur.

Ces quatre années de guerre, lui confirment que la nature humaine peut receler le meilleur et le pire.

1943 - Le 16 juillet pendant le bombardement - par accident - de la gare de Besançon par les alliés, sa mère est atteinte d'une crise cardiaque. II restera, avec son père, auprès d'elle, tandis que sa femme part avec ses parents, emportant le canari dans sa cage. Malgré le dévouement de celle-ci pendant la maladie de sa belle-mère qui décède le jour du printemps 1944, l'oiseau préféré devient un reproche permanent, qui s'installe dans la vie du couple déjà fragile. Son souvenir est toujours vivace, et ce, jusqu'aux derniers jours de l'artiste.

1946 - Alors que la guerre l'a écarté des milieux artistiques, Paris et son bouillonnement créateur l'attire.

1947 - Une occasion lui est offerte par Monsieur Dufay, qui confie à son gendre l'exploitation de l'héliophore dans la capitale. II propose à Campagnola, qui l'accepte, un poste de dessinateur-graveur. A cette époque, il est reçu chez Colette et fait la connaissance de Jean Cocteau qui lui écrit: "Mon cher Enrico Campagnola ...il s'agit toujours de sculpter, même chez les écrivains les dessinateurs et les peintres. Je vous félicite de porter le relief dans votre âme. Je déteste la platitude, votre Jean Cocteau.1950"

1952 - Décès de son père en Italie - dont il parlait peu, mais avec un affectueux respect.

1954 - Le Ier avril ! j'ai 2I ans depuis un mois, lorsque je fais la connaissance de "Campa". Le cadre de notre rencontre est un vaste et sombre salon d'accueil, où se trouve mon nouveau bureau, installé parmi les curieux appareils "héliophores" qui me fascinent. Une forte odeur d'acétate de butyle règne dans la pièce, mais lorsque Campa passe furtivement, revêtu d'une longue blouse blanche, c'est son parfum "H pour Homme" qui domine. II arbore de longs cheveux noirs et bouclés qu'il coupera très court, puis rasera bientôt.

II aime préciser avec insistance qu'il est Vénitien, et vante les qualités ancestrales de ses compatriotes. II évoque ses études à Rome, ce qui m'incite à lui parler de mon cousin Gabriel Ferrier, Ier Grand Prix de Rome, professeur et peintre célèbre à la fin du siècle dernier, et qui a peint de nombreux plafonds, dont celui du restaurant de la gare d'Orsay devenu Musée. Je lui confie timidement que moi aussi, je peins. Ses mains ne sont pas volubiles comme celles des Italiens, mais elles attirent mon attention, grâce à une chevalière ornée d'une énorme pierre noire, qu'il porte à l'auriculaire parce que ses doigts étaient plus fins, lorsque son institutrice la lui a offerte, avant son départ de Possagno.

II loge dans une chambre mansardée, sous les toits de l'immeuble où nous travaillons, place du Havre. Cette pièce exiguë de 9 m2, fermée par une porte en planches sans serrure, éclairée par les néons des publicités, est occupée par des meubles qu'il a confectionnés sur mesures dans un bois blond qui sent bon la cire. Certains jours, il y organise des réceptions qui sont presque fastueuses. En un tour de mains incomparable, il prépare, sur son petit réchaud, des mets simples et délicieux présentés avec raffinement à ses collègues qui n'ont qu'un étage à monter. Ceux qui ont eu le privilège de le rencontrer, se souviennent de ses paroles imagées, délicates, ou violentes parfois, de la justesse de ses propos en toute chose, drôles ou incisifs, issus d'un raisonnement subtil et d'une parfaite connaissance de la nature, humaine en particulier. Ils entendent encore les vibrations de sa voix de ténor dans le répertoire de l'opéra. II pense être parent avec le célèbre ténor du début du siècle, Léon Campagnola.

Enrico aurait pu tirer profit d'un organe vocal tout à fait exceptionnel, dont ses très proches étaient seuls bénéficiaires, mais il avait aussi "des mains d'or"... ... Et un cœur du même métal : la rudesse de l'hiver 54 est restée dans les mémoires. Par I7° en-dessous de zéro, je viens travailler place du Havre en scooter depuis la banlieue sud. Campa confectionne pour mon engin, un pare-brise qui ne se différencie pas de ceux, trop coûteux, du commerce. Chaque jour, nous déjeunons rapidement au labo du studio, attablés entre l'aérographe et la pierre à lithographie, puis nous nous précipitons au bistro voisin, qui par chance fait le meilleur café de Paris. II nous est offert par Campa, c'est la règle, malgré son salaire équivalent à celui de la jeune secrétaire que je suis. Puis, pendant les quelques minutes qui restent avant la "reprise", il s'installe à sa table à dessin, silencieux ou sifflotant, pour peindre quelques petits tableaux au format de cartes postales, inspirés par les paysages de France, d'Italie ou de nulle part, ou divers sujets qu'il nous offre aussitôt. Ou encore, il met une dernière touche à un tableau commencé la veille au soir dans de mauvaises conditions d'éclairage (une ampoule au bout d'un fil) qui influencent sa palette. Si l'aérographe ou la pierre à lithos sont libres, il réalise rapidement un nu aux contours généreux. S'il a pu se procurer de la "chamotte" il l'utilise aussitôt, quitte à se priver de déjeuner avec nous.

On le voit par exemple, modeler dans cette terre, sans étude préalable, des sculptures inspirées des métamorphoses de la nature, telles ces "femmes-galets" polies, comme par les marées depuis des millénaires, qu'il réalise le lendemain d'une escapade en scooter à Dieppe. Lorsqu'il n'a plus ni toiles parce qu'elles sont fabriquées spécialement pour lui par la Maison Sennelier ni terre, il dessine. Pendant toute une période, il s'amuse véritablement, pour le plaisir du geste, à remailler les bas qu'on lui apporte. Le fin crochet sautille allégrement au-dessus du verre, avec une habileté surprenante. Comme Bourdelle et Maillol, parmi les plus connus, Campagnola présente la singularité d'être un sculpteur qui devient peintre. Toutes ses œuvres s'entassent, et certaines sont offertes pour des occasions bien souvent banales. D'autres sont exposées de temps en temps à la galerie Demenge à Besançon.

Fin 1954, alors que je cherche un autre emploi, une petite annonce, lue par hasard dans le Figaro, offre aux artistes peintres de concourir pour le 5ème Grand Prix International de peinture de Deauville. Après bien des réticences, Campagnola accepte d'envoyer une toile qui obtient la mention spéciale de la catégorie "nu" avec le "Nu aux coquillages". Cette haute distinction donne le coup d'envoi de sa carrière de peintre.

1955 - Face à un monde qui impose des stratégies commerciales incompatibles avec sa nature, Campagnola ne cherche pas la célébrité. Mais les retombées presse de l'événement de Deauville attirent à lui les critiques qui adoptent ce nouveau venu. II expose au Salon d'Automne, placé parmi les peintres contemporains les plus en renom. L'Etat français, puis la Ville de Paris, acquièrent ses œuvres. Parmi les marchands qui se présentent à lui, Bruno Bassano lui offre de partager sa galerie de la rue Grégoire de Tours à Paris, avec Simon Ségal - peintre d'origine Russe de l'École de Paris - et organise une première exposition en 1955, à l'issue de laquelle toutes les toiles sont vendues. Ce succès est suivi dès 1956, d'une exposition à la galerie "Seventy-Five" à New York où il se rend. II est invité à la Biennale de Venise et à la Quadriennale de Rome. Campagnola et Bassano sont des hommes de passion. Leurs discussions sont vives, et c'est la cause de leur brouille à la veille d'une nouvelle exposition. Finies nos fréquentes rencontres à la galerie située au coeur du quartier Saint-Germain, où foisonne l'Art du moment.

1957 - Monsieur Raymond Madsen, dont la galerie rue Saint-Honoré attire une clientèle prestigieuse, principalement Américaine, espère depuis longtemps exposer les oeuvres de Campagnola avec celles de Dufy, Friesz, Gall, Laurencin, Renoir, Rouault, Vlaminck. A l'opposé du méditerranéen Bassano, Monsieur Madsen d'origine danoise a la réserve des gens du Nord. II parle peu. Mais Campagnola devient un confident discret, qui écoute avec attention. Retenu souvent trop longuement, l'artiste qui a toujours "autre chose à faire de plus important" me confie fréquemment ses livraisons qu'il fait en métro. Celles-ci sont facilitées par la proximité de mon nouveau domicile près du Parc Monceau et de mon nouvel emploi dans une Entreprise très formatrice où je reste cinq ans.

1958 - Une première exposition a lieu à la galerie Madsen avec le même succès que les précédentes. A la suite de celle de 1960, il sera invité par Jacques Chabannes sur le plateau de "Paris-Club".

1962 - La presse fait état d'une affaire de faux Campagnola à New-York. Pour préparer l'exposition de l'année, il a besoin de plus de temps disponible, et demande un congé d'un mois lors d'un simple entretien avec son patron, nouveau "repreneur" de l'héliophore. Quelques jours après cet accord, il reçoit une lettre de licenciement pour ne pas s'être présenté à son travail. Mais il faut préciser qu'il a, précédemment, organisé une grève, suivie par les employés, pour instituer un système de prime et augmenter très sensiblement leurs gains. Lui, à salaire égal, obtenait plus de temps libre ... Sa rapidité d'exécution lui permettait même de travailler au bénéfice de ses collègues. Cette liberté, il peut dorénavant en bénéficier pleinement, et organiser sa vie différemment. La prédiction du Jésuite de son enfance, va pouvoir se réaliser. Pendant quelques mois, je l'héberge dans ma "suite" de trois chambres de bonne acquises en 1957, dont l'une est transformée en atelier.

1964 - Enrico achète sa première voiture, son premier appartement aux Buttes-Chaumont, puis son premier et unique chien. Son appartement qui domine tout Paris est suffisamment grand pour transformer une chambre en atelier, au nord comme il se doit. La cuisine est devenue un laboratoire, et le reste une galerie de tableaux. Aussi souvent que possible, je viens prendre possession de nouvelles oeuvres pour le décharger de leur livraison, et les photographier à son insu, avant leur voyage à travers le monde, via la galerie.

Picasso, dont il admire le talent de peintre, réalise deux, voire trois toiles par jour. Campagnola aussi, à condition qu'elles soient préparées. Dans le tréfonds de ses racines vénitiennes, son art s'inscrit dans la longue succession des siècles passés : celui de la fresque. Les toiles, une fois enduites, ses sujets en gestation, jaillissent presque continûment, surtout les jours de pluie ...

Par un procédé identique à celui pratiqué par les maîtres Italiens de la Renaissance - dont le premier d'entre eux Léonard de Vinci - puis par les Vénitiens, il mélange ses couleurs dans une dilution dont il garde le secret et les applique sur cet enduit où il a déjà imaginé son sujet dans la masse où l'on reconnaît le sculpteur. L'oeuvre prend alors un aspect transparent, qu'aucun vernis ne peut obtenir.

Alors que l'art du portrait est tombé en désuétude, il s'étonne de l'engouement manifesté pour ses personnages féminins d'un type particulier, qui semblent issus d'une même famille méditerranéenne. Leur attitude est éternelle, leurs mouvements ont la grâce de l'instantané, et leur regard d'un noir intense est fascinant. Ces êtres imaginaires nous invitent à la sérénité. Les parties de pétanque, réservées jusqu'alors à ses séjours à Besançon, deviennent presque quotidiennes aux Buttes-Chaumont, passion partagée avec les antiquités et les timbres. Nos rendez-vous ont souvent lieu à Drouot.

1964 - Juste retour des choses, le procédé héliophore que je représente auprès des réalisateurs et producteurs de films de courts-métrages techniques et scientifiques, intéresse l'un d'eux, au point qu'il décide d'en acquérir l'exclusivité. II m'offre en échange de la perte de mon emploi qui en découle, un poste dans sa société de production et de réalisation de films médicaux. Ce procédé étant tombé dans le domaine public, les accords qu'il doit signer moyennant finances, sont rendus caducs. Campagnola lui propose son aide bénévole, pour former son personnel et être autonome. II réalise un film avec Henri Michaux sur les effets des champignons hallucinogènes. Henri-Georges Clouzot utilise les décors héliophores pour son film inachevé "L'enfer" avec Romy Schneider. Campagnola interrompt très vite cette formation, qui ne va pas au rythme qu'il souhaite. Ce bref passage lui permettra de retrouver l'un de ses élèves de l'Ecole des Beaux-arts de Besançon, recyclé dans la technique cinématographique. Je reste quatre ans dans cette société, avant de fonder la mienne et envisager de reprendre ce projet commun qui nous passionne, pour l'appliquer au cinéma d'animation dans le domaine scientifique et médical. II construit l'appareil nécessaire, mais le réalisateur avec lequel je m'associe a un autre talent, qui fera notre renommée : celui de l'animation par "dessin découpé". La chance de pouvoir réaliser des animations pour un coût dérisoire nous échappe. Et malgré les possibilités qui lui sont offertes, Campagnola ne se laisse pas filmer. A chacune de nos rencontres, il trace en quelques traits, sur la marge d'un journal, par exemple, le croquis d'un tableau réalisé la veille et que je reconnais plus tard. Je parviens à éviter le caniveau à ces petits chefs-d'oeuvre au format d'un timbre poste.

1968 - Pendant les manifestations de Mai, il va à la Sorbonne et au Théâtre de l'Odéon où il se mêle à la foule des étudiants pour mieux les comprendre. Cette année-là, il découvre la lumière de la Haute-Provence, où je passe mes vacances depuis quatre ans. Les paysans du monde entier se ressemblant, il retrouve là, ceux de son enfance, qui ont sû composer patiemment, au fil des siècles, des paysages identiques à ceux de son pays.

Ni le climat de Besançon, ni celui de Paris, ne sont adaptés à son épanouissement. En une semaine, il achète un, puis deux et jusqu'à cinq terrains mitoyens près de Saint- Martin-de-Brômes, charmant village étalé au soleil autour de sa tour templière. Sur le point d'y construire l'atelier tant convoité, il apprend qu'une ruine du XVIIème siècle est à vendre dans le village, au pied de la Tour. Les plus vieux habitants se souviennent y avoir joué dans leur enfance. Tout en lui préservant son aspect extérieur rustique, il rend cette demeure trop précieuse pour y travailler. Alors, c'est décidé, dans sa quête de l'impossible atelier, le poulailler malodorant du voisin, est acheté, et transformé pour sculpter et forger. L'essentiel de son temps est consacré aux travaux de restauration, aidé par une famille de maçons avec lesquels des liens privilégiés se créent. II aime leur sensibilité et leur vie rude, à laquelle je m'associe avec bonheur. A Paris, Monsieur Madsen s'impatiente, il peut vendre davantage "Campagnola est devenu paresseux" me dit-il.

En réalité, ses occupations de bâtisseur ne l'empêchent pas de créer. II prépare même, pendant ses séjours à Besançon, une exposition de sculptures surtout destinée à inaugurer son atelier. Depuis la confection de lourdes portes de geôle, ou de grilles aux motifs délicats, de lanternes, de candélabres, etc. ... pour sa maison, le fer forgé est devenu une nouvelle passion. Alors que, peindre pour son marchand le paralyse dans son évolution. Sa clientèle exige tel sujet, telle couleur bleue surtout, dans tel format. II préfère créer pour lui, accomplissant ainsi, un travail très personnel. II maintient cependant ses relations devenues amicales avec la galerie Demenge où ses tableaux sont quelques fois exposés. A l'instar de Picasso, il devient collectionneur de ses propres oeuvres, dont un grand nombre ne sont pas connues du public.

1972 - En juillet, il apporte à Saint-Martin, depuis Besançon, un plein chargement de sculptures pour son exposition. Certaines font vaguement penser à celles d'Alberto Giacometti. Pourtant à l'analyse de leur création, elles sont bien différentes. Campagnola exprime la délicatesse d'un mouvement d'un corps, respectant un parfait équilibre des masses. Dans sa quête permanente de la perfection - point commun avec le grand sculpteur - son oeuvre est achevée et donne à ses personnages un caractère identique à celui de ses tableaux. Giacometti, lui, considère que "ses œuvres sont des essais ratés, qui l'obligent à continuer, à la recherche de l'impossible". II modèle et retouche longuement ses sujets dans la terre, en vue de les couler dans le bronze. Campagnola, choisit comme toujours, la sculpture en direct, qui ne permet pas de "ratés". Sa parfaite connaissance du corps humain et du visage, le dispense de passer au préalable, comme la majorité de ses confrères, par le crayon, le fusain, la plume ou le modelage. Ses mains, qu'il considère comme des instruments précieux, dont il n'admet pas d'envisager la perte, ont la précision d'un outil guidé par l'informatique. Elles soudent intimement, dans un geste sûr, des gouttelettes de métal, ou des plaques préalablement découpées en petits carrés, qui seront polies et traitées pour acquérir une surprenante douceur. Parmi ces pièces uniques, d'une valeur incalculable, cinq sont vendues "au poids" à un prix dérisoire, à un marchand de Los Angeles de passage à Paris en 1976, sans la précaution d'un moulage préalable. II est plus rapide pour lui, de les refaire à l'identique, comme notamment ses "naïades" et ses "maternités". II ne reste de ces oeuvres, que des photos de l'amateur mal équipé que je suis à l'époque.

Ses séjours à Besançon deviennent plus fréquents et plus longs, surtout depuis qu'il a retrouvé son neveu Pierre et sa femme Chantal. Des traits de caractère hérités des Campagnola les rapprochent. De plus, le rez-de-jardin de la maison de Madame Campagnola, lui permet de poursuivre son activité de sculpteur et il aménage le grenier pour s'isoler et peindre. Cette solitude, il la retrouve aussi à la pêche à la truite dans les rivières - Ière catégorie - de la région, la Loue et l'Ognon, où il emporte pour toute nourriture : un citron. Comme avant la guerre, par exemple avec la sculpture "l'Offrande", il fait émerger son sujet de la masse, en taille directe, il jongle avec la nature particulière des matériaux : les noeuds et les veines du bois, les anfractuosités de la pierre, la rigidité du fer qu'il assouplit. II réalise des têtes inspirées de l'art roman ou grec, qui semblent sorties de fouilles archéologiques, des torses volontairement mutilés, dans des matériaux de récupération, convoités comme des trésors. II donne au masque de Beethoven, des volumes impressionnants et tourmentés qui émeuvent, tandis qu'il élimine ce qui fait obstacle à la caresse de la lumière dans ses plaques en métal sculpté.

A Saint-Martin, mes amis sont devenus les siens depuis longtemps, et forment même autour de lui un cocon où il se sent bien. II ne s'y rend que s'il a la certitude de les retrouver. Apprécié pour sa simplicité, sa bonne humeur, ses farces, il l'est aussi pour l'étendue de ses connaissances. On aime l'entendre parler de personnages célèbres, avec des anecdotes, qui laissent la troublante impression qu'il les a rencontrés la veille. II semble toujours en vacances. Cette disponibilité lui est offerte par la maîtrise totale de son art, doublée d'une virtuosité. Campagnola se souvient, que Bruno Bassano avait dû quitter l'Italie fasciste en 1923, et avait trouvé refuge à Aups, dans le Var tout proche. II y découvre une demeure, la plus Italienne de toutes, à l'enseigne "La maison du proscrit" qui doit être à coup sûr celle de son premier marchand. Une étreinte chaleureuse et démonstrative marque la réconciliation des deux hommes, devant sa femme Josette et moi-même.

Fidèle en amitié, il conserve pour Gérard Weil, depuis leur jeunesse un attachement qui est réciproque. Fidèle à ses engagements : il est Italien - mais surtout Vénitien, "un Vénitien du moyen-âge, que les générations futures découvriront dans 500 ans" dit-il et est-ce pour lui une certitude qui lui dicte son effacement de la vie artistique ? - Catholique et marié, il veut le rester.

II va régulièrement en Italie, pas seulement pour voter, comme par le passé, mais pour revoir sa soeur et sa famille restées à Possagno, et pour rapporter des cadres en quantité, en passant par Venise toute proche. Parler à sa place de la Cité des Doges, c'est risquer de tomber dans les lieux communs. L'admiration du "Vénitien" pour le déploiement des richesses de "sa" ville, il l'exprime souvent en une phrase : "Si un seul de ses palais se trouvait isolé, n'importe où, dans n'importe quel pays, on viendrait du monde entier pour le visiter. "Catholique, profondément croyant, il a cependant pris ses distances avec l'Église. Mais à Venise ou ailleurs, il ne passe jamais devant l'une d'elles sans y pénétrer furtivement, nous plantant là, ou nous invitant à le suivre, à la recherche de Saint-Antoine, pour lui donner son obole, en l'admonestant à voix basse, ou si l'église est déserte, en envoyant quelques notes au sommet des voûtes.

II s'éloigne de plus en plus de son marchand. Invité aux États-Unis pour quelques mois aux frais d'une galerie, en vue de préparer une exposition, il fait faire un certificat médical pour éviter le voyage. L'exposition sera annulée.

1972 - Fin août, Monsieur Madsen, qui a décidé de cesser son activité (commencée en 1929) et de se retirer à Deauville, me convie à la galerie, pour me confier les documents qui concernent Campagnola. II déménage de sa propriété de Saint-Cloud pour s'installer à Deauville où il décède le 3 septembre . Nous l'apprenons lorsque sa veuve, revenue à Paris, dépouillée par des gens indélicats, cherche à faire la connaissance des rares relations de son mari. Nous découvrons une femme chaleureuse, généreuse, simple et raffinée, qui aime rire et organiser des réceptions dont elle a été privée durant toute sa vie. Elle trouve en Campagnola, un soutien moral, hélas trop tardif, et me témoigne une affection maternelle qui compense un peu celle que je viens de perdre quelques mois auparavant. Elle et lui, portent la nostalgie de leur enfance et de leur jeunesse laborieuse.

Pas particulièrement intéressée par la peinture, Madame Madsen apprécie cependant, tout particulièrement les "dames aux chapeaux" qui lui sont offertes par l'artiste, pour les distribuer autour d'elle ... Modigliani travaillait vite, et donnait ses ceuvres pour I0 francs - plus un verre d'alcool - pour un portrait. Plutôt qu'un banal cadeau, Campagnola a pour habitude d'apporter une toile - souvent à peine sèche - pour un repas savoureux.

1974 - Campagnola vend son appartement de Paris, où il fait désormais de brèves apparitions. II y reste cependant une semaine entière pour me servir de garde-malade en 1977. II se partage entre Besançon et Saint-Martin. D'argent il ne parle jamais. Lorsqu'il en manque : on l'ignore. Si on en a besoin, il le prête volontiers.

En 1976, lorsqu'il accepte un chèque pour le remboursement d'une somme relativement modeste qu'il a prêtée, celui-ci est retenu par l'Administration fiscale, comme une vente d'œuvres, non déclarée, et déclenche un contrôle en 1980. Considéré d'emblée comme suspect, il est moralement anéanti. Incapable de lutter seul contre l'Administration, je dois l'accompagner aux convocations qui l'angoissent. L'enquête dure de nombreux mois et malgré un redressement dérisoire, c'est pour lui, qui n'avait jamais connu la maladie, le début de ses souffrances. Cependant, il se consacre avec enthousiasme à la reconstruction des ruines qui m'ont séduite dans un village de 8 habitants proche de Saint-Martin et retrouve avec joie nos amis maçons.

1982 - A Pâques il quitte précipitamment (et définitivement) Saint-Martin pour un premier séjour à l'hôpital de Besançon, désormais sinistre cadre de nos rencontres.

Mais, la prodigieuse réserve de ses dons de créateur n'est pas non plus entamée, et quelques centaines d'œuvres naîtront, pendant sa longue maladie. Si l'incompréhension de son marchand l'a conduit à ne faire que quelques apparitions d'art abstrait dans les fonds de ses tableaux figuratifs, son désir d'atteindre la pureté et la perfection par cette expression est sur le point d'être assouvi durant les trois dernières années de sa vie. Déjà la palette sombre des années 50, puis plus colorée des années 60 et explosive de couleurs ensuite, a atteint maintenant la pureté du presque blanc, notamment dans ses gouaches sur panneaux. Parce qu'il ne peut plus se déplacer, il réalise désormais sur papier, de nombreux tableaux abstraits de 7 x I0 cm. On y trouve cette perfection du trait et l'équilibre des tonalités, qui donnent la mesure de ses aspirations. II aime les visionner sur écran à la dimension qu'il eût souhaité les réaliser. Ses sculptures, elles aussi sont de petits formats dont la soudure s'apparente plus à celle de l'orfèvrerie qu'à celle du fer forgé. Lorsque mutilé par les opérations, amaigri mais toujours souriant, il me confie qu'il va bientôt retrouver sa mère, dont un petit portrait ne l'a jamais quitté, il ajoute qu'il va pouvoir enfin battre Michel-Ange ... à la pétanque.

En 1983 je découvre avec stupeur une maison bien modeste pour accueillir un grand artiste, et sa femme qui ne peut y vivre seule, du fait d'une maladie invalidante. C'était la véritable raison de ses séjours de plus en plus fréquents à Besançon depuis quelques années. Marié, il l'est resté jusqu'à la fin de sa vie le 27 mars 1984.

La vie qui avait été subjuguante proche de lui et dans son sillage, deviendra passionnante grâce à la présence de ses oeuvres au travers desquelles comme tout artiste, il continue de vivre.

Suzanne Bret Présidente fondatrice de l'Association "Espaces Enrico Campagnola" ..."
1996 - Campagnola, sculpteur et peintre  (Gervais Antoine Marchal)
    "... Enrico Campagnola, infiniment chercheur "Je ne connaissais pas Enrico Campagnola avant que Suzanne Bret me conduise vers lui. C'était à Deauville. Je découvrais avidement un peintre de tempérament généreux de formes et de couleurs expressives. Depuis lors, je n'ai plus cessé de le découvrir, comme en une histoire sans fin. A peine avais-je cru discerner une trame à sa création, que le fil se brisait, pour être remplacé par un autre apparemment plus solide ou plus soyeux.

Ainsi, ai-je rencontré les "Dames aux chapeaux" avec leur incroyable parisianisme, puis d'autres portraits de femmes, des enfants attendrissants, des natures mortes, la ferveur religieuse et le rappel du Golgotha. Enfin, le sculpteur vint, comme si l'oeuvre peint avait besoin d'être complétée par des volumes, des reliefs, puis la masse devint ajourée en une dentelle rythmique. II aurait pu, comme d'autres, même les plus grands - Van Gogh, Cézanne - labourer sans cesse son champ d'action, témoignant ainsi de leur insatisfaction et de l'impossibilité de fixer heureusement leur idéal. II aurait pu travailler, torturer la matière pour l'apaiser et la rendre absolument docile. II l'a fait, mais n'a pas hésité à caresser l'aquarelle jusqu'à la rendre abstraite, comme il avait dompté gouaches et crayons.

J'ai donc dû renoncer à découvrir la spécificité de Campagnola. Plus d'un, comme lui insatiables, ont été des explorateurs employant sans cesse les matériaux les plus divers pour s'exprimer et cela n'empêche pas de devenir célèbre, ce fût le cas de Dubuffet. Chercher, rechercher sans cesse, n'est pas amoindrissant, c'est vivre, c'est choisir une voie extraordinairement et passionnément ouverte. Je n'essayerai plus de classer un artiste indéfinissable, je louerai désormais, de découverte en découverte, l'oeuvre multiforme de Campagnola, elle le grandit encore, grâce à la mémoire cumulée transmise par les témoignages de sa curiosité inassouvie. Lorsque ses toiles et dessins et ses sculptures égarés, ou jalousement conservés par ceux auxquels il les a donnés - l'homme était aussi généreux que désintéressé - seront toutes connues, peut-être pourrons-nous essayer d'entreprendre le catalogue raisonné de ses oeuvres peintes, dessinées ou sculptées, les classer chronologiquement, par thèmes ou suivant les techniques qu'il a adoptées.

Mais qu'importe, ce qui est indispensable dès maintenant, c'est que sa richesse créative ne nous empêche pas de l'admirer dans sa course passionnée. Ce n'est pas rêver que de penser à lui, créant chaque jour une oeuvre originale, à sa manière comme Picasso. Les "Espaces Enrico Campagnola" les bien nommés, ne cesseront plus d'être habités par cet homme de feu, infiniment chercheur". Gervais-Antoine Marchal. Créateur du CESIM (Centre d'Etudes des Supports de l'Information Médicale) Président d'Honneur de l'UDA (Union des Annonceurs) ..."
1996 - Campagnola, sculpteur et peintre  (Charles Minetti)
    "... Je connaissais Campagnola bien avant de le rencontrer : ma soeur Gilberte, m'en avait si souvent parlé. Très admirative, impressionnée par ce qu'elle avait vu de l'œuvre sculpté et peint de son ami, elle avait aiguisé en moi la convoitise d'une rencontre.

J'avais 20 ans. Je n'étais qu'un apprenti artiste. Campagnola, que j'admirais déjà, était, j'en étais convaincu, un passage obligé, sur la meilleure des trajectoires possibles. Ma première rencontre, remonte à 1955, lorsqu'après le Salon des Toiles de Montmartre, auquel je fus admis pour la première fois, je commençais à croire à ma vocation de peintre.

Ma soeur ne m'avait pas abusé : ses flatteuses descriptions étaient encore en-deçà du personnage que, grâce à elle, j'ai eu le bonheur de rencontrer et de fréquenter, dans la plus parfaite amitié. Le proche contact des gens, surtout imaginés par procuration, tend toujours à détruire la légende, mais en ce qui me concerne, Campagnola m'apparût encore plus grand que dans mon inflation d'affabulations.

Dès l'abord, j'avais détecté une manière de timidité, qui me choquait de la part d'un personnage tel que lui. Plus tard, je découvris qu'il n'était pas vraiment timide, mais que son comportement de trop grande modestie, qu'il arborait parfois, n'était pas en fait, que l'effet d'une très active réserve : il pratiquait cette attitude, pour ne pas brûler ses interlocuteurs de ses très généreux feux intérieurs. II avait le don des phrases justes. La tournure de ses pensées émaillait sa conversation de mots plaisants et incisifs, qu'il n'empruntait à personne. II ne méprisait pas la saine controverse, mais ses raisonnements étaient le plus souvent suffisamment armés, pour ébranler les positions contraires, même solidement établies. Par jeu, il lui arrivait de prendre le contre-pied des évidences, pour s'aiguiser l'esprit. II aurait pû défendre le diable, rien que pour la beauté du geste par la séduction du paradoxe. II avait toujours en réserve un grand éclat de rire, pour dégonfler une discussion qui enflait et risquait de déborder. Nous étions sous le charme : les aphorismes jaillissaient, comme à la parade.

Pendant plus de trois mois, je déjeûnais dans l'atelier de la Place du Hâvre. En un tour de main, Campa (on l'appelait ainsi) confectionnait un repas simple, mais savoureux, marqué par les ingrédients rouges et verts de la cuisine italienne à laquelle il était attaché, comme à ses origines : pâtes et risotto remodelèrent désormais mes goûts et habitudes culinaires. II cuisinait à la diable, des mets qu'il ne ratait jamais. Jusqu'en cela, il était encore un Artiste. II mangeait peu, mais souriait beaucoup : il était heureux.

Rapidement, nous nous connûmes bien. Nous échangeâmes des dictionnaires de propos, dans lesquels se glissaient, sans aucune pédanterie, des formules et des préceptes, devenus depuis, compagnons de toute ma vie. Je pense que, très jeune, Campagnola devait avoir marqué les traits indélébiles de son caractère. II a toujours été le même, avec seulement les inévitables retouches qu'apportent les ajustements de l'âge.

Je l'ai toujours connu avec une inépuisable faculté de raisonnement. Sa pensée n'était jamais en repos. Aussi poussa-t-il très loin sa grande culture psychologique : il connaissait l'être humain, au point de pouvoir prédire son avenir, simplement par son sens acquis de la psychologie. Intuitif, logique, habile à concrétiser les synthèses, il savait voir et prévoir les choses. II ne se trompait pas dans ses prédictions, non par mystique divinatoire, mais il déduisait des éléments connus, ce qui ne pouvait manquer d'échoir. Sculpteur, il voyait toujours en volume et saisissait très vite le relief des êtres.

II m'impressionnait, je l'admirais, je l'aimais. II m'intriguait aussi. II apparaissait parfois sous l'angle du paradoxe, avec des réactions imprévues de retrait, comme s'il n'avait de sécurité qu'intérieure. Jamais il ne tenta de faire de moi son élève, mais plus sûrement que s'il m'avait tenu la main, il insinua dans ma conscience les principes mêmes qui me régissent encore. C'est en cela qu'il savait être un Maître.

Je me souviens avec précision de cette formule : "II ne faut pas détruire chez quelqu'un, pour lui apporter quelque chose. II faut construire avec lui et l'aider à se construire, comme si cela ne venait que de lui-même".

II fascinait ceux qui le rencontraient qui fatalement, finissaient par l'aimer. Son personnage, à la fois de douceur et de violence, d'assurance et de réserve, de talent et de modestie, fait que je ne puis le ranger d'une pièce, dans telle ou telle autre grande catégorie d'individus, sinon dans celle d'un grand humaniste, doué d'une très exceptionnelle énergie d'Artiste.

J'ai rencontré beaucoup d'artistes, dont bon nombre parmi les plus fameux. Je n'en connais aucun auquel je pourrais vraiment le comparer. Ce qui saillait le plus spontanément de sa personne, c'est la virtuosité, la créativité : un génie Campagnola ? certes, mais mis à part ce génie dont il était comblé et sa virtuosité à le traduire, ce qui, à mon sens, le caractérisait le mieux, c'était sa GÉNÉROSITÉ.

Bien entendu, avant d'accéder au ratelier de ses largesses, il fallait être entré dans son estime En 1955, sans qu'on puisse, le connaissant, penser qu'il fût riche, on se serait facilement crû chez un Maître de la Renaissance, un Leonardo da Vinci ou un Michelangelo Buonarroti. Je n'hésite pas à dire, que Campagnola avait une main semblable, un esprit pareil à ces Maîtres du passé. S'il avait vécu au Quatro-cento, il eût été, j'en suis convaincu, compagnon de ces grandes gloires qu'on honore aujourd'hui dans les plus prestigieux Musées du Monde.

Combien de fois, suis-je resté béat d'admiration, devant ce qu'il me montrait de ses œuvres : du plus réel classicisme, jusqu'à des incursions dans le domaine de l'abstraction, en passant par l'impressionnisme, le surréalisme, le cubisme, Campagnola était capable de se hausser au niveau des plus grands, des plus laurés d'entre les Artistes. Son habileté à saisir, sa faculté de comprendre et d'assimiler, étaient telles, qu'il eût pu, s'il l'avait souhaité, devenir le plus subtil des faussaires! Mais, l'Art était avant tout pour lui, l'expression d'un caractère, d'une personnalité, que chaque artiste a le devoir d'extérioriser et d'affirmer. Patiemment, Campagnola s'est cherché lui-même, dominant sa virtuosité, la confrontant aux réalités et aux réalisations de l'époque, dans lesquelles il s'inscrivait : il a finalement dégagé, dans l'émerveillement d'une perpétuelle recherche, un compromis fortement élaboré de tout ce qu'il avait pesé, testé, senti, avant d'aboutir à un Art qui fût et demeure le sien .

Campagnola n'a jamais cherché "l'esbroufe" ni le tapage. II s'est contenté de tisonner son âtre intérieur, où la beauté véritable, se pliait volontiers à la virtuosité de sa main. II n'était pas homme à faire des acrobaties d'illusions, pour inciter les projecteurs de la fugitive actualité à se braquer sur lui. II couvait, avec un brin de malice, la coquetterie de vouloir être découvert. II ne travaillait pas pour un temps, mais pour tous les temps de l'Art. Dans beaucoup de siècles, on fera référence à son ceuvre. D'ailleurs, il le savait, et en de rares occasions, il le disait ; mais comme on murmure, par crainte de trop paraître. Son Art à lui, ne devait pas être celui du verbe qui flatte, mais avant tout la plasticité de la sculpture et le modelé de sa peinture. II fallait le bien connaître, pour savoir à quel point le ravissait un vrai et providentiel succès: mais il ne l'aurait pas alors goûté avec la même délectation intérieure, s'il avait dû intriguer pour posséder quelque chose dont il aurait dû arracher le mérite par des manoeuvres ou des influences partisanes. II eût pu aimer la grande gloire, mais il se contentait d'en effeuiller quelques fleurs et d'en respirer le parfum quand l'occasion se présentait. Puis, il s'en retournait à lui-même, sans états d'âme, dans le foyer où il fondait son ceuvre.

II fallait être vraiment de ses intimes, pour qu'il consentît à être quelques fois un homme ordinaire, un parmi la foule, attentif aux autres, tout en sachant qu'il était habité par une vocation d'élite voire d'une personnalité à nulle autre pareille. II fallait être devant une de ses oeuvres, le voir en train d'accomplir, ou assister ponctuellement à ses feux d'artifices d'esprit, pour savoir à quel point il pouvait être subjuguant. Sculpteur, il connaissait la valeur du geste qui modèle. II n'abusait de rien, comme un bon musicien qui joue juste, il ne débordait pas au-delà de son caractère, de la partition qui était la sienne. II savait donner un coup violent, comme on ébauche à grands traits, mais, subtil, il savait aussi doser avec tendresse, les petits chocs qui finissaient à petits éclats, la statue entreprise. Peintre, il avait la tournure intellectuelle, qui permet d'introduire sur les deux dimensions de la toile, toute la profondeur et la magie du volume. Créateur, il n'était pas un simple reproducteur, cela n'aurait réclamé de lui, que du talent. II savait, mieux que quiconque, par où l'Artiste apporte à l'Art. II n'était pas physiquement très grand, mais du haut de mon propre 1 m84, j'ai toujours eu l'impression de le regarder d'en bas. et j'avais toujours, à chaque retrouvaille, la sensation d'embrasser une montagne.

Même la maladie qui l'emporta, après un long cortège de souffrances, n'avait pas entamé l'essentiel de son personnage. En cette triste extrémité encore, nous avons lancé de belles nefs chargées de rêves. Un peuple de mots, d'anecdotes, d'éclats de rires, me conservent Campagnola vivant. Comment conclure sans le trahir, tant il savait être convaincant dans une diversité de domaines, tant il laisse de témoignages de sa profondeur d'âme ! Je ne saurais lui dire adieu, car il ne m'a jamais quitté.

Charles Minetti, Maire adjoint chargé de la Culture, Villefranche-sur-mer. ..."
1996 - L'Association Espaces Enrico Campagnola  (Suzanne Bret)
    "... L'Association "ESPACES Enrico CAMPAGNOLA" Enrico Campagnola a exprimé un souhait : "... que mes œuvres soient utilisées dans le sens le plus proche de mon désir : expositions à but culturel, donations à des Musées, etc ..." Aujourd'hui, sa volonté est exaucée : ses proches et ses amis, les possesseurs de ses œuvres et un public d'amateurs intéressés par sa démarche et son travail, se sont réunis en une Association, Loi 1901, dénommée "Espaces Enrico Campagnola" constituée le I8 octobre I985 à Deauville.

Une donation a été faite à cette Municipalité, visible à la Villa Strassburger, afin qu'elle contribue à la promotion de l'artiste, puis une autre donation au Musée des Années 30 de Boulogne-Blllancourt offre au public des oeuvres de cette période. L'Association a pour but de favoriser des échanges et de faire connaître au public le plus large, l'œuvre de Campagnola et d'organiser ou de participer à toutes actions ou manifestations y afférent. Elle a organisé des expositions, en fonction de ses possibilités ou de celles qui lui ont été offertes.

Campagnola estimait à environ 4 000 le nombre de ses œuvres - principalement des peintures. Selon les archives que nous possédons, un grand nombre a été diffusé dans I5 pays - hors la France - et 29 Etats des U.S.A. entre I957 et I972. Aucune trace, hormis des articles de presse et quelques photographies, n'existe pour les années antérieures. A la fin de sa vie, il a offert de nombreuses œuvres à des personnes que nous serions heureux de retrouver. Nous remercions par avance les Musées, Galeries et particuliers qui possèdent des œuvres et des documents de bien vouloir se faire connaître.

L'Association a édité des cartes de correspondance qui reproduisent 25 œuvres différentes présentées en coffret, une épinglette d'après le bas-relief "Colombe de la Paix" (plaqué or 24 carats) en écrin, et un "petit journal" avec de nombreuses photos. Ces éditions sont vendues au profit de l'Association.

(Visitez la salle N°2)

Suzanne Bret, Présidente de l'Association. ..."
BIOGRAPHIE
D' ENRICO CAMPAGNOLA


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